L'un des meilleurs films à grand spectacle de Spielberg. Taillé comme un blockbuster intelligent, il tient toutes ses promesses.


Côté mise en scène, le réalisateur est à son top : il aligne de nombreuses scènes d'action ébouriffantes, toutes plus impressionnantes les unes que les autres (le prologue, la fuite d'Anderton, les Spyders, la poursuite aux parapluies...)
Si la caméra virevolte ou trouve des angles invraisemblables, c'est encore une fois toujours au service du récit, jamais pour l'esbroufe, si bien que pour admirer la virtuosité de la réalisation, il faut prendre le temps de s'y arrêter. Sinon, on est juste emporté par l'histoire, au fil d'un suspense haletant, qui ménage temps forts et temps faibles à la perfection.


Film d'anticipation plus que de S.F. pure, Minority Report joue avec des éléments futuristes dont Spielberg se sert comme ingrédients de mise en scène plutôt que comme simple décorum. Ainsi, les scènes où Anderton joue avec les images des Precogs pour déterminer le futur sont sublimes, pleines de beauté visuelle autant que de suspense. Même chose pour la fuite d'Anderton en voiture, quand on découvre la circulation très dense des véhicules qui arpentent des routes à la fois horizontales et verticales...


C'est que Spielberg utilise ces projections pour mieux questionner, soit le présent, soit ce qui constitue l'homme d'une manière fondamentale - ce qui est la marque des meilleurs films du genre. Adapter une nouvelle de Philip K. Dick n'est évidemment pas un choix anodin de ce point de vue, puisque l'auteur de Blade Runner ou Total Recall usait de la S.F. comme d'un outil de réflexion souvent subversif, en tout cas toujours intelligent. Ici, dans une scène aux dialogues étincelants entre Cruise et Farrell, on questionne la légitimité absolue de la technologie comme filtre infaillible (ou non) du futur.
Et c'est tout le film qui joue avec cette interrogation majeure : qui de l'humain ou de la machine doit l'emporter ? Les deux ne sont-ils pas indéfectiblement liés, le premier mettant du coup en doute la perfection supposée de la seconde ?
Steven Spielberg va même plus loin en développant une réflexion sur ce qui fait le fondement de son art même : l'image. Doit-on croire aveuglément ce que les images nous racontent ? Un questionnement brûlant, puisque, plus que jamais, les caméras sont partout, au plus près de l'actualité, connectée à celle-ci au point de pouvoir la modifier, la pervertir ou la mettre en doute (voir les polémiques autour du 11 septembre, par exemple).
Dans cette perspective, les scènes de "montage" d'Anderton prennent encore un autre sens, puisqu'on le voit manipuler des images brutes, jetées en vrac devant lui, pour y trouver un sens ; lequel sens est le résultat des choix d'Anderton, non pas d'une vérité absolue. Au-delà du sujet du film, il y a là une réflexion de Spielberg sur son propre art qui ne peut être ignoré.


Pour incarner ces réflexions, le casting est à l'unisson, à commencer par Tom Cruise, impeccable en "Action Man" (c'est la moindre des choses puisque c'est son fond de commerce), mais aussi assez crédible en père blessé. Ce qui prouve que, bien dirigé, cet acteur par ailleurs surévalué sur l'ensemble de sa carrière peut largement s'en sortir.
A ses côtés, Colin Farrell alors peu connu du grand public joue les fouille-merde tête à claque avec un plaisir manifeste ; Peter Stormare est toujours aussi dingue, et offre des scènes de comédie macabre réjouissantes ; Max Von Sydow a la classe, comme d'habitude ; et Samantha Morton, en Precog, est touchante de fragilité et de détermination.


N'en déplaise à ceux qui pensent qu'un blockbuster avec Tom Cruise ne peut être que mauvais, ou qui estiment que Spielberg n'a rien fait de correct depuis vingt ans (je me demande bien pourquoi les tenants de cette posture nauséabonde continuent à aller voir ses films, d'ailleurs...), "Minority Report" prouve que l'énergie du maître est intacte, tout comme sa capacité à embarquer ses spectateurs - non sans ajouter une couche de noirceur et de pessimisme bienvenue dans une œuvre que les années rendent de moins en moins angélique.


A cette réserve près que le film se conclut sur un happy end catastrophique... La manière dont cette fin heureuse est mise en scène, à base de coucher de soleil nunuche et de clichés confortables, est déjà en soi très énervante. Mais le pire, c'est qu'elle vient adoucir artificiellement le pessimisme et la noirceur du film, qui aurait presque dû s'achever sur la séquence précédente (dont je ne dis rien pour éviter de spoiler). La conclusion aurait été brutale (un peu comme le fut en son temps celle de Blade Runner, autre adaptation flamboyante de Philip K. Dick) mais percutante.
Là, c'est comme Spielberg refusait d'assumer le constat d'échec que l'ensemble du récit imposait, le transposant dans la mièvrerie soudaine de sa réalisation - et mettant, finalement, son propre film en échec.


Ce dérapage coûte pour moi à Minority Report quelques places dans mon classement, ainsi que le droit de prétendre au titre de chef d’œuvre. Une erreur dommageable au vu de la qualité globale du film, qui mérite par ailleurs d'être regardé avec intelligence.

darthurc
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le 27 janv. 2013

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darthurc

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