Au XVIIe siècle, en Italie, à Cupertino, vit le jeune Joseph Desa (incroyable Maximilian Schell), simple d’esprit dont tout le monde se moque sans cesse sans qu’il s’en formalise. Désespérée, sa mère (Lea Padovani) essaye de le faire prendre comme moine convers dans le couvent de son frère franciscain (Harold Goldblatt). Mais même les moines sont énervés par l’incapacité de Joseph à accomplir le moindre travail correctement. Ce dernier n’en vit pas moins heureux, heureux de vivre dans un lieu si pieux et d’y occuper la dernière place. C’est sans compter sur la visite de l’évêque du lieu (Akim Tamiroff), qui, impressionné par la foi ardente du jeune moine, veut le pousser à devenir prêtre. Mais pour devenir prêtre, il faut étudier et passer un examen…


On n’en finira jamais de chanter les louanges d’Edward Dmytryk de film en film, mais on ne s’en lassera jamais non plus. Avec Miracle à Cupertino, il y a fort à parier que l’on touche un (peut-être LE) sommet de sa carrière. Ayant souvent montré dans ses films une réflexion très poussée sur la religion, Dmytryk en fait ici le cœur de son film. Cette fois, plus de question de conversion (Vivre un grand amour), l’Italie du XVIIe est plutôt l’occasion de nous montrer un pays déjà fortement animé par une foi catholique très vive, mais divisée par des tensions presque invisibles.


Car en effet, la vie de celui qui deviendrait aux yeux de l’Eglise et de l’Histoire Saint Joseph de Cupertino permet à Dmytryk de dresser le portrait d’un clergé divisé entre ceux qui se sont laissés aller au goût du confort et du luxe, et ceux qui préfèrent vivre leur foi en toute simplicité, loin des tortueux détours intellectuels des premiers. De fait, consciemment ou non, en s’installant dans leur routine quotidienne, les moines franciscains du couvent de Joseph ont excessivement intellectualisé leur foi, cherchant à expliquer par maintes démonstrations vaines voire prétentieuses, les mystères de Dieu. Mais un mystère est-il fait pour être expliqué ? C’est là que le film de Dmytryk touche particulièrement juste, et c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on assistera à cette merveilleuse scène où l’évêque, ennuyé par les interminables démonstrations théologiques données au réfectoire sur la Trinité, s'en échappe pour aller parler avec Joseph, s'émerveiller avec lui face aux beautés de la création et découvrir que dans sa foi naïve et pure, le simplet a mieux compris que personne les plus grands mystères de sa religion, et en plus de les comprendre, en vit pleinement.
C’est peut-être là la plus grande leçon de Miracle à Cupertino, la plus grande leçon que Saint Joseph de Cupertino peut nous donner : la foi peut se penser (on ne jettera certes pas à la poubelle Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin et Saint Jean Duns Scot), mais avant tout, elle doit se vivre. Loin des tentatives de démonstration sèches et austères, la religion chrétienne est une religion d’amour, elle est une religion vivante. La foi, la grandeur et la pureté de l’âme sont bien plus présentes dans le simple d’esprit qui prie en toute confiance (et se met même à léviter) devant une statue de la Sainte Vierge, lui parlant comme à sa mère, que dans le moine qui essaye d’expliquer par la raison le mystère de la Sainte Trinité.


Et cela, Edward Dmytryk l’a non seulement parfaitement compris, mais le restitue impeccablement à l’écran, aidé par un casting sans fautes, sur lequel trône l’immense Maximilian Schell, qui nous offre la plus grande et la plus touchante prestation de sa carrière. Incarnant le saint avec une grâce sans pareille, il remue le cœur du spectateur comme peu d’acteurs ont su le faire, pour nous attacher à ce personnage hors-normes. Il faut dire que les dialogues de John Fante et Joseph Petracca contribuent beaucoup à rendre les personnages sympathiques, tant ils les rendent authentiques en mettant l’âme de chacun à nu, trouvant un écho parfait dans la mise en scène affûtée de Dmytryk.
Totalement dénué de manichéisme, Miracle à Cupertino touche autant qu’il divertit, son ton enjoué qui distille un humour savoureux dans ses scènes et la musique légère et pleine de charme de Nino Rota assurant une atmosphère délicieuse qui n’entrave jamais la profondeur du récit. Véritable exaltation des vertus chrétiennes que sont la charité, l’humilité et l’obéissance, Miracle à Cupertino porte donc particulièrement bien son nom, faisant office de miracle cinématographique aussi constant sur ses 1h45 que le fut la vie de Joseph de Cupertino.


Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette défense de la « foi du charbonnier », d’une foi simple, confiante, pure et naïve, contre une foi intellectualiste, sèche, désincarnée et élitiste, est sorti en 1962, l’année même où s’ouvrait à Rome un Concile qui allait consacrer cet intellectualisme comme essentiel de la foi catholique, évacuant ainsi une bonne partie de ses fidèles et même de ses saints (dont, en première place, Saint Joseph de Cupertino) de son giron. Dès lors, Miracle à Cupertino s’annonce comme une sorte de contrepoison prémonitoire aux sinistres décennies qui s’annonçaient alors, et fait aujourd’hui figure de véritable bouffée d’air frais dans une Eglise décharnée et mourante, mais satisfaite d’elle-même… Dmytryk nous le rappelle brillamment, le remède est là, à portée de la main. Il n’y a plus qu’à le saisir. Et à vouloir le saisir...

Tonto
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le 25 juin 2018

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