Il y a des soirs où l'on s'étonne de ressentir, à l'égard de certaines oeuvres offertes par le cinéma français, ce qui ressemble le plus à un certain espoir.


Et non, Behind n'est pas allé voir 120 Battements par Minute.


Alors même que des gens comme Fred Cavayé, très capables, se commettent dans la lie de la comédie après avoir réalisé quelques perles du thriller made in France, Christian Carrion, lui, se radicalise. Car après des films comme En Mai Fais ce qu'il te Plaît, Joyeux Noël ou encore Une Hirondelle a Fait le Printemps, qui portaient des valeurs lumineuses et positives, Mon Garçon détonne. Mon Garçon se pare d'un noir que l'on ne connaissait pas dans la palette de son réalisateur.


Ce n'est pas un coup d'essai. Carrion avait en effet investi le récit l'espionnage via une Affaire Farewell, assez classieux et déjà avec Guillaume Canet, qui remet ici donc le couvert. Une troisième fois.


C'est dans les tranchées de Joyeux Noël que Mon Garçon voit le jour. D'une envie profonde de changer de registre. C'est l'échec de son dernier opus qui décide Carrion, ainsi que son producteur acolyte Christophe Rossignon à prendre un sacré virage, inattendu, serré, dans une filmographie honnête, solide, mais parfois un poil ronronnante.


Ici, point de reconstitution historique, pas de faste, ni de tournage à rallonge. Mon Garçon a été envisagé comme un défi, qui a été lancé en mode guerilla, shooté en six jours seulement et la plupart du temps en une prise unique. Son scénario, Canet n'y a pas eu accès, Christian Carrion misant gros sur l'improvisation de son interprète, qu'il a totalement isolé de sa troupe, et qui découvrait seulement le jour même, en de rares occasions, ce qu'il devait faire, le temps de quelques séquences qui n'auraient pas su souffrir de l'aléa.


Pour viser la vérité des réactions, des sentiments de cet homme à qui l'on ravit son enfant. Brisé, comme la cellule familiale l'était déjà. Et on pense tout d'abord au cinéma de Frank Mancuso, celui de son très bon Contre-Enquête, quand évolue ce personnage profondément déstabilisé, parti depuis trop longtemps loin de ceux qui étaient les siens. Animé par le désarroi et la volonté farouche de faire la lumière sur cette disparition, qui a eu lieu au sein d'une colonie.


Mathis n'est plus ici. Carrion osculte le tourbillon et le séisme que provoque son absence. Sur son père, sa mère, son beau-père. Les différentes attitudes, parfois contradictoires, toujours désemparées et matinées de larmes. Puis le focus se précise, et la caméra suit, très souvent à hauteur d'épaule, ce père en quête de la vérité qui se heurte à cette vie qui lui a échappée, aux forces de police qui suivent la procédure et orientent l'enquête sur les pistes les plus révoltantes. Parce que c'est la procédure


Cette enquête ne sera pas le point névralgique de Mon Garçon. Menée en une heure trente, ramassée, sèche, épurée à l'extrême, linéaire, parsemée de quelques indices rares qui mènent Canet d'une scène à l'autre vers une réponse. Laquelle ? En cette matière, Christian Carrion laisse planer le doute. Au spectateur d'en déduire ce qu'il veut, plusieurs pistes étant évoquées, sans qu'aucune prenne le pas sur l'autre. Certaines feront écho à une actualité dérangeante, d'autres à des faits divers encore douloureux.


Mon Garçon préfère se focaliser sur son personnage principal, sur un Guillaume Canet bousculé dans son interprétation, dénudé puisqu'il ne fait que réagir à ce qu'il se passe et qui aurait rencontré une part sombre de lui même au cours du tournage. Mon Garçon est avant tout un homme qui, enfin, découvre ce qu'est vraiment son rôle de père. Un père soudainement entraîné dans la douleur de la perte. Qui réalise ce qu'il a manqué quand se déroule devant ses yeux, via des extraits vidéos, un quotidien qui lui est étranger et qu"il n'a pas contribué à créer.


Christian Carrion lorgne enfin du côté du Denis Villeneuve de Prisoners, dans la volonté jusqu'auboutiste et sans retour, dans le désir de vengeance et de trouver la vérité. Mon Garçon, s'il n'en partage pas la flamboyance de la mise en scène, sonne cependant comme une sacrée proposition de cinéma de genre. Humble, solide, enthousiasmante, haletante, assez dark et frontale. En tout cas assez surprenante venant d'un réalisateur dont on n'aurait jamais pu croire qu'il chérissait un genre de plus en plus difficile à voir dans une salle obscure.


Il n'y aura qu'une fin un peu expédiée qui pourra faire râler les plus pointilleux. Et encore. Celle-ci ne ternira pas l'impression excellente que laissera Mon Garçon, qui pourra sans difficulté être porté au sommet de ce que le cinéma français a pu proposer cette année, aux côtés du formidable La Mécanique de l'Ombre et du troublant L'Amant Double. Les avant premières ont parfois du bon.


Behind_the_Mask, bourreau d'enfant.

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le 2 sept. 2017

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