Deux ans après "Meilleur espoir féminin" et trois avant "Boudu sauvé des eaux", Gérard Jugnot qui n'en est pas à son coup d'essai en tant que réalisateur (une dizaine de films depuis 2017), pour la plupart des comédies excepté sa précédente perle avec Bérénice Béjo. Il continuera sur cette lignée avant de replonger dans le domaine qu'il excelle avec "Monsieur Batignole", un film se déroulant pendant la seconde guerre mondiale dans un Paris tenu par les allemands, des collabos dans toute les rues pratiquant la délation comme sport national.


Leur dénonciateur en chef, Jean-Paul Rouve, auteur raté, n'est autre que le beau-fils de Gérard et crèche quasiment chez lui. Il nous révèle assez vite qu'il n'aime pas trop les "Bosh" car il lui ont laissé un charmant souvenir en lui de sa confrontation au front (dans les cantines).
Lorsque le fils de son voisin chirurgien lui vole cochons & saucisses de la boucherie dont il s'occupe, le fameux gendre raillé par Sacha Guitry appelle la police afin de démanteler tout ce beau monde et récupérer l'appartement.
Le fils, Jules Sitruk, reviendra néanmoins dans le lieu du crime plus tard alors que Batignole occupe sa résidence et pactise avec l'ennemi en organisant une petite sauterie qu'il leur cuisine aux petits oignons :
"Edmond, qu'est-ce que tu fabriques ?"
Complètement abasourdi et interloqué, il l'installe dans la chambre du haut après lui avoir dit de décamper, mais qui laisserait un gosse devenu orphelin mourir de faim ?
Il le nourrit, le lave de ses poux, récolte ses deux cousines, culpabilise car il se sent responsable de l'enlèvement de ses parents, de la récupération de son appart' et pour finir de danser avec les allemands. Devenir leur traiteur officiel alors qu'il héberge un petit juif, ça fait mauvais genre, que diraient les voisins ?
Ils le dénonceraient à la Gestapo.


Il paye donc un passeur, Ticky Olgado, en récupérant un tableau détenu par les parents du petit. Au péril de sa vie, après maintes péripéties, veille sur eux, les nourrit, les surveille et finira par partir avec eux jusqu'en Suisse. Un héros, on s'identifie en ces temps troubles, on aurait fait la même chose que lui au nez et à la barbe des nazis.


Brave Gérard, rare de le voir aussi touchant, les Choristes ne sortiront que l'année suivante, sincère, admirable : "Vous tenez tant que ça à vous en débarrasser ? Non, à le sauver".
Au début, ne cherchant pas les ennuis, très vite attendri et fautif, il prendra sa responsabilité à bras le corps et jouera un rôle de père courageux et formidable.
On rit beaucoup de l'ignominie de Jean-Paul Rouve, excellent en affreux collabo, déjà hilarant en tant que Cardinal dans "La cape et l'épée" avec sa bande des Robins des bois, il campe admirablement les odieux personnages.
De là à passer le coupe-jaret sous la gorge de Gérard pour l'écorcher vif comme un cochon, tout ça parce qu'il sauve la vie de trois jeunes enfants. On nous épargnera la scène où il retourne la situation à son avantage, le laissant gésir dans sa marre de sang, "excellent titre !"


On découvre une capitale qui a peur, qui ne fait pas de vague, qui ne prend aucun risque, qui tend l'oreille au moindre faux pas, qui tremble et courbe l'échine devant l'Allemagne qui se gausse, ridiculisant les français et encourageant le "nettoyage" antisémite.
Et de l’œil affûté de Gérard, on découvre également de braves gens, souvent pauvres & honnêtes qui protègent autant qu'ils le peuvent les enfants, les passeurs avides de cupidité qui les mettent en sécurité en échange de liasse...
Tout ce petit peuple se confronte : "Je mens, ton père ment, ma femme ment, tes cousines mentent, tout le monde ment ! T'imagine si tout le monde se disait la vérité ? Ce serait la guerre ! -Mais c'est la guerre !"


Une perle, une ode fantastique à une réalité aveuglante où certains héros réfugiaient des juifs dans leur cave, fouillée par des hordes nazis qui déclamaient toujours peu de prise.
Et quel régal de voir un Gérard pour une fois, pas juste hilarant comme à son habitude, mais qui tire une nouvelle corde à son arc déjà bien garni.
On revoit ce film avec toujours autant de plaisir et tel un Roland Magdane dans "Une sirène dans la nuit", on se dit qu'il reste quand même des gens formidables !

SebRendly
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le 17 mai 2020

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