Darren vs Dieu : match nul, la balle au centre...

Darren Aronofsky n’aime pas trop Dieu (même s’il y pense visiblement tout le temps). Moi, je n’aime pas trop Darren Aronofsky, même si je vais voir ses films, histoire de me tenir au courant. La preuve qu'Aronofsky en a après Dieu, c’est que dans "Mother !", il a demandé à Javier Bardem de l’interpréter : comme tête à claques, il se pose là, Javier, et la profonde antipathie qu’on ressent instantanément envers lui aide beaucoup au fonctionnement du film ! Bon, il y a (au moins) deux manières de regarder "Mother !" : d’abord simplement comme un thriller psychologique aux connotations fantastiques, qui raconterait le basculement dans la folie d’une jeune épouse trop soumise à son mari (un poète torturé souffrant de l’habituel syndrome de la panne d’inspiration) et ayant à affronter l’intrusion dans sa maison chérie de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres. Ce film-là est magistral, au moins dans sa première partie, digne du meilleur Polanski (on pense au Locataire, puis à Rosemary’s Baby) et la mise en scène d’Aronofsky est brillante, avec cette caméra qui enserre Jennifer Lawrence et nous asphyxie en même temps qu’elle, nous entraîne dans sa paranoïa de manière immersive. C’est suffocant, c’est très fort ! Puis on a l’impression qu’Aronofsky pète littéralement les plombs dans la seconde partie, et son film devient pénible, lourd, hystérique, jusqu’à un paroxysme final qui se révèle bien repoussant (la scène du bébé fera du mal à quiconque a des enfants, je crois…). Il faut alors se résoudre à passer à l’autre interprétation de "Mother !", ce règlement de comptes personnel avec Dieu, cette parabole biblique d’une ambition et d’une pesanteur qui frôlent le ridicule : alors, on a Adam et Eve, Caïn et Abel, puis après la Vierge Marie et l’enfant de Dieu dont le corps doit être mangé par les fidèles, etc. etc. A la fin Mère Nature se venge et réduit l’humanité toute entière (bien répugnante, l’humanité…) en cendres, mais cet enfoiré de Dieu a eu ce qu’il voulait, et il peut relancer une nouvelle fois la machine. Ok, Darren : c’est super puissant, tout ça, mais c’est pas un peu TROP, quand même ? Moi, qui ne t’aime pas beaucoup, mais veux quand même ton bien, je pense que quelqu’un devrait arrêter de te donner autant d’argent, te retirer le final cut sur tes films, et t’obliger à bosser avec une équipe qui te passerais une petite camisole de force quand tu commences à baver partout et rouler des yeux de fou. Le Cinéma se porterait mieux, lui aussi : qui sait, tu arriverais peut-être même à le pondre, ce chef d’œuvre que tu as en toi, et que tu nous foires à chaque fois ? [Critique écrite en 2017]

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le 20 sept. 2017

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Eric BBYoda

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