Relecture domestique et conjugale du mythe de la Genèse jusqu'à l'Apocalypse finale où le déluge d'un lavabo fendu aboutira au feu porteur de mort et de renouveau ; mise en images du processus de création artistique au terme duquel la Muse disparaît, galvanisée, pillée, et l'auteur perd le contrôle de son enfant, dépouillé par les lecteurs qui s'en repaissent. Darren Aronofsky convertit la demeure familiale en théâtre cathartique où se rejoue en miniature la tragédie de la nature, la naissance du dieu Soleil entachant le ciel vierge de ses rayons couleur de sang pour enfin mourir, laissant la nuit maîtresse du monde, propageant la terreur et le chaos. La vie est un cœur que l'écrivain conserve jalousement dans son bureau : il peut se vanter de la créer et de la reprendre à sa guise, pourtant poussé par une logique de destruction et de recréation exprimé par l'insertion de la famille belliqueuse et l'affrontement de Caïn et Abel. Le sang du frère sacrifié irrigue le sol, fertilise la terre et porte l'enfantement, germe de l'inspiration. Ensuite on cherche les mots mais tout est là, en attente de traduction. Puis notoriété et rupture de cette histoire d'amour que l'on pensait unique, intime, puisque révélée aux yeux de tous, appropriée par chacun. La muse se meurt, son enfant également comme la Terre explose sous les coups de ses occupants ; le Père lui demeure et assure la transition, se nourrit du passé pour de nouveau briller de mille feux et projeter ses rayons dans les prismes du cœur, pierre philosophale arrachée par amour en ultime don de soi au tout-puissant auteur. Tout peut recommencer, comme avant. Sans musique, sans souffle, on agonise dans ces assauts répétés qui sonnent comme autant de viols d'une demeure sacrée souillée par la Faute, celle attendue par la femme-pécheresse - malgré elle - et réclamée au mari, celle qui conduira à la création-destruction, celle qui est au centre de tout. On assiste à la Genèse en près de deux heures, assis sur une chaise dans un train lancé face au soleil, perdu dans cette maison qui est pourtant nôtre. Attention électrochoc. Attention chef-d'œuvre absolu, instantané.