Après un Spectre gâché, Mourir peut attendre offre une très belle conclusion au James Bond que Daniel Craig a réinventé. Il décline avec brio les canons de la saga (aventure, action, humour) tout en parachevant la déconstruction du personnage entamée dans Casino Royale.


Lorsque Daniel Craig a endossé le rôle du plus célèbre agent secret de la planète en 2006, la mission était claire : réinventer le personnage en le rendant à la fois plus crédible et touchant. Et c’était avec panache que Casino Royale proposait une relecture contemporaine de James Bond, tout en l’intégrant pleinement dans la mythologie propre à la saga. Ce premier opus avec Craig explorait la psychologie du personnage, notamment en narrant sa désillusion sentimentale avec Vesper Lynd, déterminante pour expliquer comment et pourquoi James était devenu Bond.


Depuis cet acte (re-)fondateur, les cinq films s’efforcent de tisser un arc narratif cohérent avec plus ou moins de réussite mais toujours une certaine ambition créative de la part des réalisateurs (Marc Forster et Sam Mendes). Le précédent film (Spectre) se terminait sur James Bond qui prenait sa retraite pour vivre pleinement son idylle avec Madeleine Swann (Léa Seydoux). A l’origine, cet opus avait été conçu comme une conclusion, reliant et concluant les différentes intrigues distillées dans Casino Royale, Quantum of Solace et Skyfall. Daniel Craig avait juré que jamais il ne réendosserait le smoking. Malheureusement, ce dénouement s’avérait décevant, avec une intrigue frisant le ridicule et des personnages bien faibles. Il y avait de quoi être estomaqué face au gros ratage de Blofeld (Christoph Waltz), l’iconique « méchant » de la saga. Il faut croire que même Daniel Craig, également producteur des derniers opus, n’était pas vraiment satisfait puisqu’il acceptait de reprendre une dernière fois le rôle afin d’offrir à son personnage une conclusion digne de ce nom.


Les espérances étaient grandes et le résultat est à la hauteur ! Le premier bon point vient de l’apport évident du réalisateur Cary Fukunaga, à qui l’on doit la mémorable première saison de la série True Detective. On se rappelle son atmosphère poisseuse et désespérée et surtout Rust Cohle (Matthew McCanughey), personnage granitique et désespéré que Fukunaga avait réussi à rendre attachant et émouvant. Il y a un parallèle évident entre Rust Cohle et James Bond version Daniel Craig. Derrière les explosions, l’aventure, l’action et l’espionnage, Mourir peut attendre est surtout un beau voyage intérieur dans l’âme fracassée de ce héros. En plus d’humaniser James Bond comme jamais (plus jamais ?), il réussit également à sauver deux personnages - Madeleine Swan et Blofeld - qui étaient ratés dans Spectre mais qui sont ici beaucoup plus crédibles. Les nouveaux protagonistes ne sont pas en restes, grâce à la plume aiguisée de la scénariste Phoebe Waller-Bridge (l’autrice de la série Fleabag) qui en fait bien plus que de simples faire-valoir de l’agent 007. Enfin, tout en insufflant un vent de nouveauté bienvenu, Fukunaga colle à tous les codes qui ont fait le succès de la franchise depuis 60 ans : gadgets, scènes d’action spectaculaire, aventure dépaysante, méchant mégalomane menaçant la planète depuis sa base secrète, humour et répliques bien senties… Pas de doute on est bien dans un James Bond. Cette schizophrénie entre audaces et balisage constitue le propos même du film qui questionne son personnage quant à son rôle et son héritage dans le monde d’aujourd’hui, 60 ans après sa création. Un lien quasiment mélancolique est entretenu avec le passé de la saga, qui est évoqué à travers des clins d’œil bien sentis (comme une salle comportant les portraits de tous les acteurs qui ont joués les supérieurs de James Bond) et aussi grâce à la musique signée pour la première fois par Hans Zimmer. Le compositeur phare d’Hollywood s’efface et propose une réadaptation d’anciens thèmes qui ont parsemé les 25 films de la saga. Il reprend notamment We Have All the Time in the World de Louis Armstrong, dont les paroles font directement écho à la thématique du film et qui était déjà la musique du générique d’Au service secret de sa Majesté, un épisode avec lequel Mourir peut attendre partage une filiation évidente. En plus de cet exercice d’équilibrisme parfaitement réussit entre nouveautés et références au passé, Mourir peut attendre impressionne par sa facture. La réalisation se joue très bien de la spatialité de ses décors : scène d’action en plan séquence, attaque vertigineuse d’un gratte-ciel londonien, base secrète qui rappelle le final dans le volcan d’On ne vit que deux fois… C’est beau et élégant. On notera également, peut-être pour la première fois dans la saga, des scènes particulièrement angoissantes et tendues dans l’ambiance fantomatique d’une forêt norvégienne.


Par cet ultime chapitre, Daniel Craig conclut donc son cycle comme il l’avait entamé dans Casino Royale : avec éclat, talent et une volonté de bousculer un archétype vers des directions inédites, plus matures, tout en montrant un profond respect à l’esprit d’une franchise débutée il y a 60 ans. Après cette conclusion qui laissera à coup sûr son empreinte sur la saga, la curiosité de voir comment cette figure iconique va se réinventer est d’autant plus grande. Car une chose est certaine : "James Bond reviendra !"

el_blasio
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le 5 oct. 2021

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