En 1998, tout était magique.
C'est quand même dingue, comme tout était magique en 1998. Non, je ne parlerai pas de la Coupe, je n'aime pas le foot. Mais cette année-là sortait l'anime qui restera à jamais dans mon coeur ("Cowboy Bebop"), le JRPG qui restera à jamais dans mon coeur ("Suikoden 2") ; l'OST d'anime qui restera etc... ("Trigun"), le shmup qui... ("Radiant Silvergun"), le jeu d'action qui... ("Metal Gear Solid"), mon 2e jeu de baston préféré ("The King of Fighters 1998"), le meilleur film des frères Cohen ("The big Lebowski"), et je vais m'arrêter là, mais vous avez compris l'idée.
C'était juste avant qu'internet n'entre vraiment dans nos vies et ne désenchante le monde par son surplus d'information (auquel je contribue aussi par cette critique). Nous étions jeunes et insouciants. Bill Clinton était encore président, tout fraîchement sali par ses tendances érotomanes. Chirac nous faisait rire, aux Guignols comme à la télé. La téléréalité n'avait pas encore transformé la moitié de la population en légumes ricanants. Je glandais en Terminale, partageant ma flemme entre billard et parties de belote au foyer du lycée.
Pendant cette année magique, même Disney, que j'exècre, que j'abhorre, que je déteste, a fait un truc bien.
"Mulan".
Pas seulement pour le sujet, qui est pourtant diablement malin.
Dénonciation du machisme à travers une jeune femme usurpant une identité masculine pour en remontrer aux hommes. Inversion des sexes assez artificielle à la fin, quand les acolytes troufions se déguisent en concubines, mais sinon on évite le cliché de l'amazone toute puissante : cette fille a avant tout un cerveau, et au fond elle ne rentre jamais vraiment dans le cliché machiste qu'on attend d'elle. Les tirades sur "comment être soi-même", qui pourraient être pénibles, sont fort réussies. Et je ne dis pas ça pour me faire des copines de la gente féminine.
Après, tous les bons vieux trucs Disney, genre bestiole marrante rigolote ; le conseiller veule et onctueux que l'on déteste d'emblée ; le gros ridicule mais qui va servir histoire de plaire à notre public d'obèses ; les feux d'artifice ; la traditionnelle scène où le personnage principal est au fond du trou et va être obligé de se dépasser face à la résurgence d'un antagoniste qu'on croyait mort ; le personnage principal qui sauve le monde et trouve l'amour, avec les bêbêtes rigolotes qui se roulent des pelles de joie. Oui, tous ces trucs odieusement prévisibles sont là. Mais c'est plutôt vite expédié, et l'utilisation d'Eddie Murphy en doubleur du dragon, avec des commentaires second degré qui limite parodient ces ressorts grossiers, font que comme on ne s'attarde pas, ça passe.
Mais là où le film est le meilleur, c'est là où il aurait dû me faire hurler : la romance. Voir ce héros si viril et noble en situation de faiblesse et sauvé par l'ingéniosité de la jeune femme, qui est un vrai personnage central sans tomber dans le stéréotype : qu'elle le sauve d'un massacre annoncé, d'une avalanche, d'un combat singulier où il n'a aucune change, ou quoi que ce soit, ça fait du bien de voir une femme avoir le dessus sans devenir une amazone en costume moulant. Et puis le visage de Mulan est vraiment touchant.
Idem, la dénonciation de la guerre n'a pas besoin de faire dans la surenchère d'horreur : les recrues arrivent insouciants en chantant et tombent sur une ville en cendre, et derrière une petite éminence, une plaine jonchée de cadavres (sur lesquels le film a l'intelligence de ne pas s'attarder). Bel effet de douche froide, et la mort du père du héros masculin est sobrement figurée par un casque vide posé sur une épée. Mulan n'est pas le "Soldat Ryan", sorti la même année, qui dit quand même que ça vaut la peine de se battre pour sa famille, même si ça doit vous démonter la gueule. Ho non. La guerre, c'est incompréhensiblement bête, point barre. Pas la peine de s'attarder sur les détails atroces. Ce n'est pas une petite marque d'intelligence que de ne pas tomber dans ce genre d'ornière.
Bon, le décorum chinois n'est qu'un prétexte : dragons chinois, fusées, pandas, riz, et une musique vaguement asiatique. Mais l'animation est fluide (les cheveux de Mulan, quel beau travail. Et les nuages de fumée qui se dissipent...). C'était encore fait à la main, mais avec l'appui des technologies émergentes de l'époque (un peu de 3D dans les décors). Un point d'orgue, avant la fin de tout artisanat. J'aime beaucoup le chara design, ces grosses baraques carrées au menton fort, comme dans la série animée "Batman". Et le méchant, avec ses yeux d'or, sa souplesse de tigre, est indéniablement réussi.