Napoléon
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Napoléon

Film de Abel Gance (1927)

Naissance d'une nation : la REPUBLIQUE FRANçAISE ! ! !

(Jeu de picole : boire un verre à chaque fois qu'un drapeau français apparaît dans toute sa gloire...)


La jeunesse de Napoléon, depuis le collège de Brienne jusqu'à la première campagne d'Italie. Gance avait prévu six films, il ne put faire que celui-ci, mais c'est déjà gargantuesque comme projet, et l'on pense immanquablement à Naissance d'une nation de Griffith. Mais aussi à Eisenstein, pour les trouvailles formelles bluffantes (et le côté très premier degré, il faut bien le dire).


Cette oeuvre de 4 h défie le résumé, je vais donc faire court. Napoléon jeune était déjà destiné, par son charisme qui en impose à tous, par sa fougue, par sa raideur militaire, par sa solitude d'aigle, à transfigurer la Révolution française en la portant à l'étranger. Oui, on est clairement dans le récit hagiographique, et à moins d'être un grand fan du Corse (ce que je ne suis pas), on ne peut retenir une légère nausée. Et au niveau scénario, c'est étrange. On mélange des faits très précis, qui trahissent en Gance un passionné, et des arrangements avec l'histoire qui servent la dramaturgie. En tant qu'historien, je me suis senti violé plusieurs fois (mais je me soigne). Si j'étais vache, je me demanderais ce que Gance aurait bien pu faire pour illustrer le 18 Brumaire, l'assassinat du duc d'Enghien ou la bataille d'Eylau, mais bon.


Mais oublions le fond : la forme est incroyable. Quelques brèves remarques à ce sujet, et je me contenterai de transcrire mes notes prises en cours de visionnage. Entre Gance et Epstein, on avait décidément de sacrés expérimentateurs, en France, dans les années 1920 ! C'est probablement ça, ce que nous devrions réapprendre du muet. Cette grammaire qui savait parfaitement alterner plan général chorégraphié, plan moyen dramatique et insert fugace et efficace. Cette audace qui poussait le matériel à la limite. Caméra portée, travellings à une époque où ce n'était clairement pas prévu pour, écran splitté, parfaite maîtrise du montage pour créer un langage symbolique, photogénie. Ce film est monstrueux, par son ambition il égale en démesure son objet.


Notes à la volée en cours de visionnage :
Bataille de boule de neige avec un montage kaléidoscopique où alterne Napoléon enfant, l'air déjà déterminé, donnant des ordres, et le chaos de la bataille, dont son groupe, à 1 contre 3, finit par émerger triomphant.
Ecran splitté en 9 pendant une bataille de polochon (aucune idée de la manière dont Gance a pu s'y prendre).


Napoléon qui félicite Rouget de Lisle qui enflamme le club des Cordeliers en apportant la Marseillaise, qu'il entonne du haut de la chaire de Danton... A vérifier au niveau véracité historique. ^^


Napoléon regardant les faux des sans-culotte passer devant sa fenêtre lors du 10 août, les éclats de lumière faisant comme un stroboscope sur sa mine désabusée. Danton hurlant avec du feu en surimpression. Quelle créativité !


Napoléon expliquant aux Corses qui le vomissent que la France est leur mère, avec comme un soleil qui se lève derrière lui. Napoléon fuyant la Corse avec le drapeau français - scène digne d'un Zorro.


Montage parallèle de la houle que Napoléon affronte en partant de Corse et de la houle des Girondins pendant l'été 1793. Est-ce que Gance est capable de faire une séquence un tant soit peu classique ? ^^


Beau plan de Napoléon arrivant à Toulon, un livre à la main, marchant vers la caméra qui fait un travelling arrière. Le siège est très détaillé, on a droit à un carton qui nous présente tous les acteurs dans le détail. Si c'est comme ça pour chaque bataille, ça risque d'être long...


Montage alterné bataille de boule de neige-prise de la redoute décisive à Toulon. Une main émergeant de la boue, cherchant convulsivement un endroit solide. La grêle sur les tambours, qui joue à la place des soldats morts... Fin de la 1e partie.


Assassinat de Marat (Anthonin Arthaud, abonné aux rôles de fanatiques)... derrière un rideau. Gance jour un St-Just assez efféminé. La Bussière et Fleuri mangeant des dossiers d'accusation du Comité de Salut Public pour sauver Joséphine et Napoléon (inexact, mais bon). St-Just magnifié au dernier moment, dans un discours d'apologie de l'oeuvre révolutionnaire. Une femme pleure "ils sont trop bons pour nous".Vendémiaire est traité par-dessus la jambe, mais ça ne m'étonne pas trop, ce n'est pas vraiment le moment le plus glorieux de la carrière du Corse.


Je m'insurge ! Le passage sur la frénésie de bals qui suit la Terreur est mal inséré, logiquement il devrait probablement être placé avant Vendémiaire. Gance mélange un peu tout. OK, je vais prendre mes cachets.


Hoche en rival de Bonaparte, essayant de lui ravir Joséphine. Ils jouent aux échecs. Le va-et-vient de l'éventail transparent de Joséphine sur son visage de chatte, surexposé. Napoléon caressant la mappemonde avec en surimpression le visage amoureux de Joséphine. Beau raccourci psychologique.


Napoléon méditant seul dans l'immensité de la Convention vide, avant son départ pour l'Italie (ça n'aurait pas été tourné dans l'amphi Richelieu de la Sorbonne, par hasard ?). Danton lui apparaît, tel Obi-Wan Kenobi. Robespierre lui confie que la France a besoin d'un homme fort pour sauver ses acquis, et que cet homme, c'est lui.Il doit répandre la Révolution ailleurs en Europe. Difficile de faire plus gerbant au niveau du contenu. ^^


Beau travelling avant, vue depuis la diligence qui emmène Napoléon en Italie, avec deux cavaliers caracolant en éclaireurs. Arrivé en Italie, il dompte d'un regard inquisiteur Masséna et Augereau, qui n'étaient pas prêts à accepter sa nomination.


Encore une claque ! Revue de l'armée d'Italie, et la caméra recule de l'écran sur lequel l'image est projetée. Puis on nous projette l'image sur trois écrans accolés, en format extra-large. ça ne marche pas totalement, mais quelle inventivité ! Pas mal de jeux de symétrie avec cet écran splitté en trois. Qui dans les plans finaux se colore en bleu, blanc, rouge.


Comme Naissance d'une nation, c'est un film idéologiquement fort contestable, mais d'une énergie créatrice absolument ahurissante.

zardoz6704
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le 25 sept. 2015

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zardoz6704

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