Ah, la France des villages. Que ne continue-t-elle d'alimenter les fantasmes, au choix nostalgiques ou rétrogrades. Qui ne fondrait pas devant ces visions bisounourso-pétainistes de bons Français vivant en complète quiétude avec leurs voisins de palier, tous égaux devant la ration de fromage et le port des bretelles, tous aussi blancs que la mie de leur pain. Qui pourrait résister à l'esprit bon enfant permanent de ces patelins où l'on parade en fanfare dans la rue dès que quelqu'un tire la chasse, et où la criminalité s'est faite oublier au point de transformer ses gendarmes en gardiens de l'embonpoint ?


Car oui, un braconnier, dans les années 50, ce n'est un criminel qu'aux yeux de la loi, pas à ceux du peuple. Un braconnier, dans les années 50, c'est sympa. Surtout si on met de côté le fait qu'il passe ses journées à charcuter la faune - c'est facile, il suffit de ne pas filmer les mises à mort. Un braconnier dans les années 50, c'est Louis de Funès. Dans le film, il s'appelle Blaireau. Un nom on ne peut plus adéquat pour un braconnier. Et quand il n'est pas en train d'emmerder tous les bestiaux du coin, Blaireau prend un malin plaisir à troller le garde forestier local, dénommé Obél... euh, Parju.


Les deux zigotos se tirent la bourre façon Bip-Bip et Coyote, et comme chez les Looney Tunes, le score final de la foire d'empoigne est méchamment unilatéral. Yves Robert tape justement dans un style très cartoon d'après-guerre, de la mise en scène démonstrative aux effets appuyés par la musique. Quitte à arbitrer un duel gentillet certes, mais un peu répétitif et benêt sur les bords. Voire mollasson.


Par bonheur, Ni Vu... Ni Connu... (quel mauvais titre) n'est pas qu'une chasse au blaireau légèrement niflante, et sait prendre aussi d'autres directions afin de proposer de vrais bons moments de comédie. Pour preuves, le concours de pêche arrache quelques sourires, et surtout toute la séquence autour de la prison est une merveille d'humour absurde mouchetée de répliques mémorables. Moi qui n'ai jamais réellement apprécié Pierre Mondy, eh bien je dois avouer qu'il m'a régalé dans le rôle de ce directeur de prison totalement... particulier.


Oui, j'ai cité Pierre Mondy en premier. Ce n'est pas que de Funès est mauvais dans le film, loin de là. Il faut le voir fabriquer sa canne à pêche de bric et de broc pour comprendre que son génie est déjà à l'oeuvre. Seulement sa gouaille parait ici sous-exploitée, a fortiori dans un rôle pas forcément intéressant à regarder...


Même si au final, c'est bien lui qui sort grand vainqueur d'un film profondément déséquilibré et inégal. Dommage qu'Yves Robert ait choisi la voie du burlesque inoffensif, refusant d'exploiter le potentiel de la nouvelle originelle ("L'affaire Blaireau") et de faire de Ni Vu... Ni Connu... un réquisitoire digne de ce nom contre le système juridique.

magyalmar
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le 10 août 2016

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