« Si tu me vois, c’est le pire jour de ta vie. »

Le niveau dérangeant de Jake Gyllenhaal dans ce film atteint des sommets. Preuve une nouvelle fois d’un acteur de talent aux multiples facettes. On est comme hypnotisé par ce visage de marbre et ce regard vide qui viennent en porte-à-faux d’une personnalité complétement barrée, capable du pire comme du … bien plus pire.
Le film suit l’évolution extérieure de son personnage (Lou). Je précise bien « extérieure » car il conserve un bagout extraordinaire, que ce soit dans la peau d’un petit voleur de métaux que dans la peau d’un autoproclamé PDG de société en devenir. Sa personnalité n’évolue pas forcément car il conserve un regard déshumanisé que cela soit face aux victimes des accidents qu’il filme ou face aux victimes de ces premiers vols. La vie des autres est là pour lui servir de marchepied, ce n’est pas qu’il ne les comprend pas, ce qu’il les déteste simplement.
Les accidents et faits divers de LA ne seront finalement qu’un moyen d’expression comme un autre pour lui. Preuve en est faite quand Lou en vient à retravailler les scènes d’accident, l’artiste est au travail sur une matière vivante, pour nous, inerte, pour lui. La compassion est rayée de la surface de sa terre et de son business plan. Son chef d’œuvre sera d’organiser lui-même la filature et l’arrestation musclée de tueurs au beau milieu d’un fast-food, au mépris de la vie des citoyens et forces de l’ordre.
Le personnage garde une réelle cohérence tout au long du film, cohérence ultra dérangeante certes.
Le personnage de Rick (Riz Ahmed) en fera fatalement les frais. Façonné dans un premier temps comme un prédateur d’images, ce dernier montrera un peu trop les crocs face au mâle alpha et deviendra finalement la proie de celui-ci. Le tout filmé bien sûr.
Le plaisir de la vision de ce film se base vraiment sur ce regard critique de notre société basée sur l’image et, parfois même, de l’image de l’image (l’accident de van et l’agonie de Rick filmés comme tout autre événement, pas de compassion, même entre les loups). On peut y voir tant de messages, tant de points d’analyse.
Mais si le personnage de Lou est une chose, que dire de la chaîne de télévision et surtout de Nina (Directrice du JT de 6h), qui sera, façon crescendo, émerveillée par son travail. On est gêné par l’inhumanité assumée de Lou mais on l’est aussi par cette fascination mercantile de Nina pour ses images. Un business plan rejoint un autre business plan. Plus il y a de morts, mieux c’est, plus il y a de détails sordides, bien mieux c’est. Surtout quand les images sont à la limite du légal. Et à la poubelle la déontologie journalistique, le sujet c’est la vague de crimes (ça arrange bien la dame quand ils sont commis par des pauvres noirs dans les quartiers blancs aisés), pas le pourquoi et comment de tels événements.
Cerise sur le gâteau, la relation entre Nina et Lou est à leur image. Ce dernier draguant ouvertement Nina en lui faisant part de son désir de partager une intimité avec quelqu’un … en échange d’images bien croustillantes et nécessaires à la continuité de la carrière de l’intéressée. Si celle-ci est déstabilisée par ce chantage, le déroulement des événements laisse transpirer une fascination de Nina pour Lou. Mais que voit-t-elle en lui ? Sa moitié ou son marchepied ? Dans les deux cas, ils se complètent parfaitement et c’est d’autant plus perturbant.
Au niveau de l’esthétisme du film, celui-ci se déroulant majoritairement de nuit, on ressent clairement le poids de ce monde si particulier. La solitude de la nuit est seulement perturbée par les gyrophares, les sirènes, les coups de feu et les monologues de Lou. Ce dernier devenu un animal nocturne, il sera constamment affublé de lunettes de soleil le jour. Comme pour mieux continuer à vivre de nuit ?

Bref, un grand film prenant, haletant et apportant une réflexion bien dérangeante sur le monde moderne.

Toine1985
9
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le 22 janv. 2018

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