Cameraman de mauvaise augure
Night Call…un film dont on pourrait se méfier : un sujet choc un brin racoleur, une star qui cabotine et une affiche qui précise « par les producteurs de Drive » (excellent film au demeurant). Eh bien on aurait tort. Certes Nightcall n’est pas l’égal des meilleurs polars glauques des 70’/80’s auquel il pourrait faire penser, mais il reste une très bonne série B.
Louis Bloom est un mec paumé de Los Angeles, incapable de se trouver même le plus petit boulot sur un chantier. Il rentre chez lui en voiture et croise sur le chemin une ambulance prenant en charge des accidentés mal en point. Deux cameramans sortis d’un fourgon se jettent sur la scène et la filment. A peine le temps de leur demander ce qu’ils fabriquent qu’ils repartent aussi vite. Lou vient de se trouver son inspiration, sa vocation : filmer des images d’accidents et de crimes et les revendre à la TV. Il va se révéler un cameraman de choc au professionnalisme à toute épreuve…mais aussi un bon metteur en scène…
Dan Gilroy (qui jouait apparemment de la musique avec Madonna à la batterie avant qu’elle soit connue…info importante) réalise ici son premier film. Avec un pitch comme ça entre les mains, on peut rêver de ce qu’aurait fait un artiste au style affirmé comme De Palma, Friedkin ou même le Cronenberg des beaux jours. Mais il faut reconnaître que la mise en scène de Dan Gilroy est excellente dans sa façon de déplier intelligemment un scénario qui se suit comme une autoroute.
En fait, là où on aurait pu attendre un film sur la fascination malsaine de la violence (un challenge d’équilibriste pour ne pas être taxé soi-même de « voyeuriste »), Gilroy préfère faire de Lou une allégorie du monde de l’entreprise. Certes, l’information TV à l’américaine y prend sévèrement pour son grade. Les journalistes sont montrés comme de bêtes pantins, aux ordres d’une réalisatrice moins scrupuleuse de l’éthique journalistique que de ses choix de carrière. Mais le plus effrayant n’est pas tant les images « graphic » (comme les gens de la TV aiment le répéter) que la nécessité implacable de faire du business et de montrer des résultats. Les images de morts pourraient très bien être remplacées par n’importe quel autre truc, comme la ferraille que deal Lou au début du film, tant que ça se vend à bon prix. Gilroy bâtit son histoire non autour de la violence des images et de leur conséquence sur les gens, mais autour de la société de compétition qui aliène des êtres dont la seule issue est de se vendre corps et âme dans des entreprises dont le but importe peu. Un point de vue moins attendu et malgré tout subversif.
La force du film est aussi de montrer intelligemment comment Louis filme les scènes « graphic » et qu’elles sont ces choix qui, sur l’instant, vont créer des images accrocheuses. La mise en abyme du filmé/filmeur n’est jamais trop insistante et rend le film assez ludique. Encore une fois, avec un tel principe on se dit que Gilroy en comparaison à d’autres réal reste un peu sage. Néanmoins il a un vrai savoir-faire de metteur en scène. On voit que ce n’est pas quelqu’un qui ne comprend rien à la caméra et à la technologie vidéo qui a fait le film (ce qui aurait été un horrible comble pour ce sujet). Scènes de course poursuite en voiture avec de superbes mouvements de grues, mise en abyme d’écran dans l’écran et des points de vue de caméra, photographie nocturne superbe avec un jeu sur la mise au point fin et pas gratuit (chose de plus en plus rare actuellement), tout ça rend le film très maîtrisé.
Donc Night Call passe très bien le crash test du film d’exploitation à l’américaine ! Et Jake Gyllenhaal, même s’il force un peu le trait, reste convaincant, avec son œil luisant, à la fois endormi (sa marque de fabrique depuis Donnie Darko) et prêt à se cacher derrière la lampe de sa caméra à n’importe quel moment.