Une histoire bien filmée mais extravagante

Je ne mets pas en cause la construction du film : je l'ai trouvée assez claire et astucieuse. Par contre, certains pans de l'histoire restent très obscurs et je trouve que c'est assez tordu de la part de Bonello de nous laisser interpréter tout ça, en nous privant d'éléments-clés pour le faire.
(Bon, je ne vois pas comment écrire une critique sur ce film sans le spoiler.)
Qui est ce Greg, que joue Vincent Rottiers ? Un agent provocateur travaillant pour certains "services spéciaux" de l'Etat français, et plus précisément du Ministère de l'Intérieur ? Il semble bien que ce soit lui qui ait monté toute cette opération (aussi invraisemblable qu'elle soit, car qu'est-ce que ces jeunes terroristes anarchisants ont en commun, hormis leur naïve conscience d'un ordre social bafouant l'idéal républicain de "liberté, égalité, fraternité" ? ). C'est lui qui leur offre pour lieu de réunion un appartement (qui semble bien être le sien), où il les "briefe" sur cette opération d'attentats simultanés perpétrés sur des symboles de la démocratie française ; c'est lui qui dispose des pains de plastic armés de détonateurs nécessaires aux attentats, et sûrement lui qui leur explique comment ça fonctionne (car qui sont ces jeunes gens ? 3 étudiants en Sciences-Po, un barman, un vigile, plus un frère et une soeur sans doute encore en classe terminale au lycée et un ado de 15-16 ans) ; c'est lui qui conforte à la vodka et héberge le plus jeune d'entre eux la nuit qui précède l'opération. Et au jour J, pendant que tous les autres s'activent aux quatre coins de la capitale (puisque 4 attentats simultanés sont prévus), que fait ce Greg ? Il emprunte un des boulevards donnant sur la place de la Bastille, pénètre dans un immeuble cossu, monte un étage, sonne à une porte, un mec lui ouvre, il l'abat d'une balle tirée à bout portant, l'achève de 3 autres, et ressort sans même avoir pris la peine de réempocher son arme et s'éclipse tranquillement pour ne plus jamais réapparaître dans le métrage (sauf dans un cauchemar de Mika, le plus jeune des terroristes, qu'il avait hébergé). Une fois les attentats commis, toute la bande, au lieu de s'égailler dans la nature (ce qui aurait été la sagesse même), se réunit dans un grand magasin parisien (si j'ai bien vu, extérieurement le BHV, mais intérieurement La Samaritaine, beaucoup plus cinématographique, notamment son gigantesque escalier intérieur, art déco je crois) pour s'y laisser enfermer, y passer la nuit "tranquillement" (un des gardiens du magasin faisant partie du complot), et sortir, ni vus ni connus, le lendemain matin à l'ouverture des portes. Une fois tous réunis dans le Grand Magasin, ils constatent qu'il manque deux personnes : Fred le vigile roux a été tué pendant un des 4 attentats, donc son absence s'explique ; mais Greg (Vincent Rottiers), la cheville ouvrière du complot, manque aussi. Aucun des jeunes terroristes ne sait ce qu'il est devenu. Et aucun d'eux ne s'en soucie plus que ça. Et pourtant il y a trois étudiants en Sciences-Po, ils sont supposés avoir un cerveau. Ils devraient... réfléchir, s'inquiéter de son absence et de ce qu'elle pouvait signifier (peut-être une trahison), se demander s'ils n'ont pas été joués, etc., mais non. La situation les dépasse. Ils ne savent que s'étourdir pour tuer les heures.
Le scénario m'apparaît donc dangereusement flou, nous contant une histoire invraisemblable, pour ne pas dire bidon. Bonello aurait au moins pu nous dire (le film durant 2 heures 10, on n'était plus à 3 minutes près) qui était l'homme que Greg tue à bout portant, la raison de ce meurtre et son rapport aux attentats. Car ce geste brouille un peu les cartes, on ne sait plus très bien qui est ce Greg (un policier infiltré? un terroriste "international" ?).
Deux faits, dans le scénario de Bonello, militent quand même fortement pour une opération d'envergure montée par la DGSI elle-même, avec nécessairement un feu vert des plus hautes instances de l'Etat (ce qui est complètement insensé, bien sûr, mais c'est du ciné) : 1. la rapidité avec laquelle la police localise la planque (planque pourtant inattendue et déroutante, car vraie souricière en plein coeur de Paris), dans laquelle les terroristes se sont tous retranchés, alors qu'a priori ils n'étaient pas du tout identifiés comme tels, 2. l'ordre donné de les abattre systématiquement, alors qu'il est normalement de règle de capturer vivants les terroristes pour les faire parler et ainsi remonter la piste jusqu'aux organisateurs.
Il en découlerait que Greg appartienne aux Services Secrets français. Mais pourquoi exécute-t-il l'homme habitant près de la Bastille ? Si Bonello nous le dit, il le fait à mots si couverts que je ne l'ai pas entendu.
Conclusion : le scénariste-réalisateur s'est fait plaisir en pondant un film extrêmement spectaculaire, surtout dans sa dernière partie. Même si l'histoire contée apparaît bidon et d'une incroyable gratuité, elle nous glace les sangs.

P. S. À la réflexion, je remonte ma note à "7", car Nocturama, malgré ou à cause de ses défauts, est quand même un bon film, sinon je n'aurais pas cherché à en faire la critique, et une critique qui se tienne (que j'y sois ou non parvenu).

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le 2 sept. 2016

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Fleming

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