La dernière danse avant la fin du monde

Bonello filme encore une fois avec Nocturama un groupe de personnes totalement coupées du monde extérieur, vivant en vase clos, déconnecté du reste du monde. Mais ici le contexte est bien plus tragique qu'une maison close, qu'une bande de bourgeois déconnectés de la réalité ou encore qu'une secte... il est ici question de faire exploser la ville de Paris, ce qui forcément rappelle forcément des images elles bien réelles au spectateur. D'ailleurs le film a dû changer de titre à cause de cela et on a perdu le merveilleux : "Paris est une fête". Pas sûr qu'ils aient gagné au change vu le faible nombre d'entrées du film.


Cependant, malgré sa volonté assez apolitique, le film reste toujours bien plus pertinent qu'un Made in France, qui était totalement déconnecté de la réalité alors même qu'il se voulait réaliste. Bonello a inclut dans son récit des indices raccrochant le film à ce que l'on connaît, comme les "terroristes" qui regardent leur lieu de retranchement se faire cerner par le GIGN, mais sans jamais rien sacrifier à ce spleen magnifique et tragique qui se déroule devant nos yeux.


Concernant l'apolitisme, je n'y crois pas, même si je pense que la volonté de ne pas rallier les événements du film à un groupe précis susceptible de commettre des attentats en France lui permet d'être universel, atemporel... Mais surtout de poser un réel constat sur la société actuelle, sur le fait que peu importe le milieu d'où l'on vient on s'ennuie, on n'en peut plus de cette société à bout de souffle... D'ailleurs le personnage joué par Adèle Haenel qui ne fait pas partie des terroristes ne dit pas autre chose : "ça devait arriver". Il fallait que quelqu'un ait l'idée (pas forcément qu'il réussisse) de faire exploser cette société de l'intérieur, juste pour qu'il se passe quelque chose, pas par goût du sang ou du meurtre, mais juste pour montrer son ras le bol...


Évidemment que ces jeunes ne peuvent pas plus changer le monde que les prostituées de l'Apollonide ou que les bourgeois de Saint-Laurent... Ils ne peuvent que profiter des derniers moments ensemble pour danser, pour se lover dans la mélancolie, dans le macabre que peut comporter le romantisme...


Et ça donne lieu à des scènes absolument sublimes, Bonello est, et le confirme encore une fois ici, le réalisateur qui utilise actuellement le mieux la musique, qui arrive à plonger son spectateur, ses personnages dans un état de transe, dans un spleen total, où la mélancolie vient gagner les cœurs de chacun au fur et à mesure que tout se détruit.


Et si toute la seconde partie du film semble être un mélange entre les personnages de l'Apollonide qui se retrouveraient dans Zombie de Roméro pendant Elephant de Gus Van Sant est définitivement la plus belle, puisque c'est la partie où les sentiments des personnages et les émotions sont si purs, si beaux, la première n'est pas en reste non plus... on est pris dans une sorte de mise en marche incompréhensible pendant 41 minutes... On voit des personnages agir comme si tout était minuté, sans réellement interagir ensemble, marcher dans le métro, c'est tendu sans que l'on sache pourquoi... les quelques flashback pas forcément indiqués n'aidant pas réellement à comprendre ce dont il retourne, ils servent au mieux à rythmer cette marche en avant et à éventuellement comprendre comment se sont rencontrés certains personnages... et pourtant malgré l'inexplicable, malgré l'incompréhensible ça fonctionne réellement bien, la mise en scène fait tout... On sent une sorte de stress, d'angoisse qui monte, sans que l'on puisse réellement savoir pourquoi...


On n'aura pas toutes les réponses et pourtant ce n'est pas grave, parce que chaque personnage, bien qu'on ne connaisse pas forcément son nom a ses moments de grâce, ses moments où il est sublime... et c'est finalement ça qui compte, voir des gens ordinaires, les suivre et se rendre compte qu'ils veulent tout faire péter, parce que la civilisation engendre ses propres démons, parce que la vie actuelle ne leur suffit pas...


Bien sûr que leur petite révolte est vaine, comme tout petit malêtre bourgeois, plutôt que de choisir la difficulté du combat idéologique ils préfèrent se vêtir de soie... on ne change pas une société avec du velours... et pourtant c'est si beau...


C'est si beau de voir ce couple se regarder pour la dernière fois, de voir ces corps morts qui semblent allongés lascivement comme une invitation érotique... Parce que finalement au moment de mourir, au moment où tout est perdu comme tout le monde on ressent la peur, l'amour, le désir...


Et l'idée du film est là, montrer comment des gens qui ont eu une mauvaise idée pour changer le monde, pour tromper leur ennui, se retrouvent alors qu'ils sont sur le point de tout perdre à aimer et à tenir à la vie.

Moizi
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le 25 janv. 2017

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