Bouée salutaire

Les images de la bande annonce à l'époque laissaient augurer d'un "2012" biblique. Pour un fana des films catastrophes et des effets spéciaux c'était diablement alléchant.
Mais, il y a toujours un mais. J'ai malheureusement tardé à me décider à l'époque et cela m'a permis d'entendre une tripotée de critiques catastrophiques. Bon pas toutes mais assez pour entrevoir un couteux foirage. Donc je me suis abstenu jusqu'à hier en le visionnant en dvd d'occaze parce qu'on a beau être patient et curieux, on a pas non plus envie de payer une daube au prix du neuf.
Eh bien je dois dire que mon seul regret c'est bien de ne pas l'avoir vu à sa sortie. Effectivement nous sommes très loin de "2012" et ceux qui n'ont pas aimé Noé parce que le déferlement des eaux ne dure que cinq à dix minutes n'ont rien compris au sujet. Tout le monde connait le mythe du Déluge dont chaque religion propose sa propre version : partant du constat que le monde créé est corrompu, un homme élu va être chargé de sauver la faune et la flore pour qu'il puisse renaître une foi que la volonté divine aura détruit l'ancien.
Là où un réalisateur comme Emmerich (dont j'affectionne les blockbusters) aurait proposé de spectaculaires destructions, ici nous avons droit à une longue mise en place du contexte qui amène à la construction du navire. Les futurs dilemnes sont habilement mis en place. Les menaces sont autant internes qu'externes. Le déluge qui reste spectaculaire n'est lui même que l'aboutissement. Pas une simple péripétie non plus mais c'est l'introduction vers le dernier tiers du film. Faire reposer toute la communication sur ce seul passage ne pouvait donc que décevoir.
Les visions que Dieu envoie à Noé sont aussi nébuleuses qu'esthétiques mais leur force c'est d'avoir du sens sur la durée. Sous un aspect hollywoodien, il est surprenant de constater que tout le film est parcouru d'un propos dur, violent parfois. Le casting est très bon. Russel Crowe crève l'écran. Jennifer Connelly en épouse suiveuse du projet, pour l'essentiel du film tout du moins, assure également. Parmi les enfants, deux sortent brillamment du lot et livrent une très bonne performance : Emma Watson bien entendu mais c'est une excellente actrice quelque soit le rôle. Plus surprenant pour moi j'ai trouvé Logan Lerman très convainquant alors que je ne l'ai pourtant jamais supporté dans ses autres rôles. L'aîné des fils par contre fait tâche car on le dirait débarqué d'un magazine de mode masculine. Dans des rôles secondaires on retrouve Anthony Hopkins qui joue un Mathusalem très filou, et Ray Winstone en antagoniste leader de l'humanité corrompue descendante de la lignée du fratricide Caïn.
Si le film a été décrié c'est parce qu'on y mélange les relents habituels des gros budgets comme les décriés anges déchus au look de golems qui se rallient au projet de Noé (pourquoi l'un d'entre eux à la même voix que le leader des Decepticons dans la franchise Transformers... ?!), et un film quasiment d'auteur avec son rythme lent, ses choix moraux incessants, et ses enjeux.. bibliques ? Noé est issu de la lignée du troisième frère Seth. Dieu le charge de sauver le meilleur de la Création et de laisser s'éteindre la lignée des Hommes une fois que l'Arche aura rempli son rôle. Pas de libre arbitre puisqu'il n'est qu'un exécutant jusqu'à l'aveuglement et aussi jusqu'à le devenir au sens premier si cela est nécessaire au projet de Dieu.
Aronofsky traite son sujet avec sérieux et gravité nous plaçant devant des choix impossibles mais que l'on sait justifiés puisque en parallèle il nous a donné à voir combien les hommes sont devenus néfastes, cruels et bestiaux puisque souillés par le pêché originel. La Terre débarrassée d'eux s'en sortirait bien mieux se dit-on après quelques scènes assez insoutenables quand Noé se mêle incognito dans le gigantesque campement de l'ennemi. Cette logique à laquelle on ne peut qu'adhérer alors, est pourtant facilement remise en cause par le réalisateur que l'on voit venir mais qui réussit son coup en nous faisant haïr le héros inflexible tel un autre Abraham.
Bon vous l'aurez compris ce film qui m'a plu souffre d'avoir été mal vendu par sa bande annonce. Il est spectaculaire mais surtout bien plus profond et consistant que ce que promettaient les images extraites pour appater le chaland.