Comment écrire un film cohérent avec des personnages fugaces, des lieux transitoires, une mise à distance du temps narratif, le refus du pathos et de l’action, tout en maintenant le spectateur intrigué, séduit, fasciné ? Et bien Chloé Zhao en a trouvé le moyen, et magistralement.


Au milieu d’un pays exsangue et sans pitié pour les plus démunis dont la morale capitaliste pourrait être « marche ou crève », des êtres fantomatiques, hères anonymes, libres tant matériellement qu’humainement (eux qui troquent sans cesse leurs objets personnels, ou même les donnent, et refusent tout types d’attaches émotionnelles de peur de les perdre et par conséquent de souffrir à nouveau), errant de parkings géants en campings, de station-service en refuges précaires, de routes désertes en paysages magnifiques et austères, survivant comme ils peuvent de petits boulots en petits boulots, entre toilettes à récurer et fast-food à dégraisser, se nourrissant de boîtes de conserves réchauffées, déféquant dans des bacs en plastique et tremblant dans le silence de nuits froides et solitaires, ces êtres ont choisi de ne pas céder, de poursuivre ce combat absurde, cette lutte perdue d’avance de la vie où, depuis que le drame a fait écrouler leur sécurité, plus rien ne leur sera désormais gracieusement concédé.


Avec une Frances McDormand exceptionnelle, à la beauté sobre et naturelle de ce cactus épineux et fragile qui ne se laisse pas approcher, de touchants et convaincants personnages secondaires vraisemblablement non-professionnels (comme dans The Rider) mais vrais « nomades » malgré eux, une photo très soignée et des lieux remarquablement choisis, un portrait fidèle et réaliste de laissés-pour-compte, un témoignage direct de son temps, un récit fragmenté épousant la liberté de ses personnages, Chloé Zhao frappe fort, très fort.


Le meilleur film de ce début d’année 2021, et qui sera sûrement l’un des meilleurs de l’année.

Marlon_B
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 13 janv. 2021

Critique lue 1K fois

7 j'aime

1 commentaire

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 1K fois

7
1

D'autres avis sur Nomadland

Nomadland
Moizi
5

Oh la zolie carte postale

Il y a de belles images, bien soignées, ça pourrait faire de belles cartes postales ? Mais après ? Parce qu'en vrai voir un film sur des déclassés aux États-Unis, tentant de se persuader qu'ils ne...

le 10 juin 2021

124 j'aime

10

Nomadland
Sergent_Pepper
7

Wander woman

Alors que Chloé Zhao s’attachait jusqu’ici à des communautés plutôt circonscrites pour évoquer l’identité ou la précarité, son nouveau film prend une ampleur à l’échelle nationale : la femme incarnée...

le 9 juin 2021

80 j'aime

10

Nomadland
Behind_the_Mask
8

Prendre la route pour ne plus jamais la rendre

La situation économique, le sentiment de communauté, les grands espaces tour à tour opulents et désolés. Aucun doute, il s'agit bien là d'un portrait en creux des Etats-Unis d'Amérique et de leur...

le 29 juin 2021

63 j'aime

4

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 17 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11