Nosferatu : Eine Symphonie des Grauens / Le fantôme de la nuit - Illustration d'un mal de (sur)vivre
Libre refonte du célèbrissime "Nosferatu" de Murnau, "Le Fantôme de la nuit" puise chez son ancêtre une grande partie de son approche formelle sans toutefois tomber dans la spirale vicieuse du remake sans substance. Si visuellement parlant il évolue en parallèle de l'oeuvre maîtresse en adoptant ses bases - costumes et maquillages en premier lieu, puis, c'est selon, décors et paysages - "Le Fantôme de la nuit" se dégage de son 'mentor acté' sur au moins deux points cruciaux pour un film du genre (à savoir le fantastique/épouvante relatif aux vampires) : la narration et la caractérisation de ses personnages.
Chez Murnau l'influence expressionniste - seulement deux ans après "Caligari" - est claire et sans appel : mêmes yeux cerclés de khôl noir, mêmes ombres hantant les rêves et les couloirs, mêmes lignes de paysage formant une infranchissable muraille obscure, mêmes portes, mêmes sièges observant une même rigueur esthétique propre au mouvement. Il serait peut-être même question de politique au sein de ce scénario si ténébreux, certains y voient encore la "gangrène du nazisme" se propageant dans les tréfonds de l'Allemagne (cette interprétation se doit cependant de rester modeste étant donné la complexité des rapports politiques et artistiques de l'époque).
Scénaristiquement, "Nosferatu" ne se révèle pas si audacieux qu'il aurait pu l'être, - encore une fois la morale de son temps a joué son rôle de censure muette - l'interprétation théâtralisée et appuyée nuisant entre autre à l'enfermement psychologique des protagonistes dépeint par Stoker dans son "Dracula". Mais avant de dénoncer ce manque de personnalité, cet enfermement était-il seulement souhaité par Murnau ?
Le point de vue contemporain ne facilite pas l'interprétation des plus justes, et "Nosferatu", face au "Fantôme de la nuit", s'ancre davantage dans un statut de film spectaculaire - quoique très réussi - que dans l'idée d'une réalisation marquant avec puissance l'affect du spectateur où le remake d'Herzog trouverait une place de choix.
Ce dernier est en effet largement porté par son principal interprète - Klaus Kinski toujours au sommet - qui insuffle à l'oeuvre cette intimité sous-exploitée chez Murnau : la solitude d'un être en perdition. La divergence narrative entre les deux oeuvres apparaît nettement dès lors que le Comte Orlok découvre l'existence de le belle Ellen. Loin du spectacle ancestral de la toute puissance des hommes sur une nature trompeuse et dangereuse, "Le Fantôme de la nuit" porte sur le monde un regard dénué de gloire, tout en pessimisme. Alors que chez Murnau, Ellen, la douce femme du notaire, se sacrifiait courageusement pour sauver son mari et sa ville, Herzog fait de cette acceptation de la mort une véritable scène à l'érotisme manifeste mais tout à fait vain : le Comte meurt bel et bien après ce contact charnel, mais le jeune époux oublieux de sa femme reprend immédiatement le flambeau de l'épidémie mortelle.
Cette mort apparaît de plus comme un suicide à peine masqué de la part des deux protagonistes, sujet qu'ils abordent d'ailleurs avant l'acte de mort. Ellen, effondrée par l'amnésie de son époux, cherche dans la mort un oubli de soi, une acceptation dans un autre royaume que celui des vivants - paradoxalement, une immortalité ? -. Orlok, usé par le temps, pense trouver ici son salut -n'avait-il pas prémédité son oeuvre en se rendant auprès de cette "femme au coeur pur" ? -.
Impossible d'oublier ce plan fixe délavé où Adjani, dans sa rigidité cadavérique présupposant la mort, observe la mer depuis une dune plantée de tombes balayée par les vents. Impossible d'ignorer la détresse du Comte Orlok lorsque, las, il accueille son hôte dans son château en ruine. Impossible de déceler une once d'aventure face au voilier fantôme en perdition que la houle agite en pleine mer.
Herzog dessine dans "Le Fantôme de la nuit" une volonté commune à deux êtres antithétiques d'en finir avec la vie, volonté allègrement servie par une esthétique exceptionnelle d'où l'obtention d'un sous-texte bien différent et bien plus intéressant de celui de l'époque.