Après le déjà bien remarquable Tel père, tel fils, (rappelez-vous l'an passé, juste après The lunchbox), Kore-Heda Hirokazu nous offre tout simplement un des plus beaux films de cette année : Notre petite sœur.
On retrouve aujourd'hui la même façon de filmer, sans esbroufe ni spectaculaire (même pas des paysages à couper le souffle et des cadrages savants mais discrets), un style quasi documentaire, qui est sa marque de fabrique.
La maîtrise parfaite des acteurs (ici des actrices) et celle des sentiments suggérés plutôt qu'exprimés (on est au Japon !).
Dans ce Japon provincial et tranquille, trois sœurs vivent seules dans une maison de famille. Le père a quitté la famille il y a longtemps pour une autre femme, on devine que la mère est partie refaire sa vie ailleurs. Lors des obsèques du père volage, les trois jeunes femmes, Sachi, Yoshino et Chika, découvrent que ce dernier leur a léguer une demi-sœur, Suzu, qu'elles vont recueillir chez elles.
Voilà c'est tout, on a tout dit. Le reste est affaire de magie.
La pellicule de Hirokazu a été trempée dans un filtre de douceur de vivre, de gentillesse charmante et de féminité attendrissante. Trempée dans une eau de vie de prune dont la recette secrète est transmise de génération en génération.
Le film réussit même la prouesse d'éviter toute mièvrerie trop sucrée grâce aux drames sous-jacents : les jeunes femmes, abandonnées par père et mères, partagent un lourd passé et la jeune Suzu est le rappel incarné de la faillite parentale.
Les trois aînées vivent seules, plus préoccupées de recoller les morceaux de leur propre famille que d'en fonder une nouvelle.
C'est un film de femmes (les sœurs, la tante, l'aubergiste, ...) où les hommes brillent par leur absence et leurs faiblesses. Un film de femmes ... avec maison.
Les jours et les saisons passent (le titre en VO est Umimashi Diary : les chroniques de la ville du bord de mer) et les sœurs tissent leurs liens sous nos yeux. Au bout d'un quart d'heure, on n'a plus qu'une seule envie : se faire jardinier, blanchisseuse, cuisinier ou femme de ménage et aller leur donner un coup de main pour tenir la maison, là tout de suite, histoire de partager leur quotidien au moins quelques heures par semaine.
Un quotidien nippon où modernité et traditions constituent un mélange particulièrement réussi.
Inutile de préciser que ce film est aussi un véritable documentaire sur la vie quotidienne au Pays du Soleil Levant : petits trains de province, cérémonies, bord de mer, montagnes et forêts, préparation des repas, courbettes, école, travail aussi, ...
En fin de séance, une fois passé le regret de quitter ces adorables jeunes femmes, une seule vraie question subsiste : comment savoir à quel point Hirokazu idéalise son japon provincial, à quel point ce portrait est fidèle à quelques réalités d'aujourd'hui ? Comment savoir, autrement qu'en allant vérifier sur place ?
L'an passé, on terminait le billet sur Tel père, tel fils par cette phrase :
Une belle leçon de cinéma et d’humanité comme les asiatiques savent si bien nous en donner.
Arigato gozaimas'u Hirokazu-san !
Le film est tiré d'un manga, Kamakura Diary de Akimi Yoshida, et le drone est déjà en route pour la livraison !
Pour celles et ceux qui aiment les jeunes femmes et le Japon.

BMR
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le 3 nov. 2015

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BMR

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