Nymphomaniac - Volume 1 par Bex
J'ai toujours eu un gros a priori sur l'oeuvre de Lars von Trier, en particulier depuis que je me suis perdue au beau milieu d'Antichrist et que j'ai rapidement levé drapeau blanc avant même la moitié. Même si j'avais beaucoup aimé Melancolia, il me restait ce goût amer d'un sujet bien trop pesant tâchant un traitement de l'image pourtant raffinée.
A l'annonce de la sortie d'un nouveau film, intitulé Nymphomaniac, je me suis facepalm. "Oh non, sérieusement, y a pas eu assez de gros plans de kikis tout durs dans Antichrist ? C'est quoi son truc à lui, bon sang, il veut que les gens pleurent de malaise au cinéma ?". En suivant de temps en temps les quelques extraits qui surgissaient sur le site officiel, mon mauvais pressentiment se faisait plus fort, et j'ai finalement été entièrement dégoûtée de l'idée d'aller payer 10 euros pour un film où j'en sortirai les mains moites et l'envie de pleurer/vomir du sang. Les premières critiques du film ont confirmé ces craintes, la presse criant majoritairement à la bouse cinématographique, longue, lourde, et impossible à apprécier. Puis j'ai eu vent qu'un certain Wolfgang, sacré poltron mais toujours de bon goût, avait bien aimé le film. Alors bien installé dans mon fauteuil, je me suis lancée.
Quelle n'a pas été ma surprise quand j'ai découvert que Nymphomaniac n'était pas un film pornographique. Et non.
Nymphomaniac parle d'un sujet humain : le sexe. Mais pas n'importe quel sexe, pas celui entre Mila Kunis et Justin Timberlake, pas celui entre Blanche-Neige et le prince charmant. Le sexe impulsif, maladif, incontrôlable, mais pas tout à fait inexpliqué. Et oui bonjour la vie, un film qui parle de sexe peut ne pas être produit par Brazzerss, et peu aussi nous épargner l'entre-jambe de Sharon Stone. Il y a dans la société un tabou gigantesque sur le sexe, (pire! le sexe sans amour!) le plaçant au sommet du Kilimanjaro de la sacro-sainte Intimité, qui fait que la représentation du sexe est perçue comme choquante, malsaine, si elle n'est pas scientifique ou accompagnée de deux beaux acteurs et une armada de violons. Nous oublions trop souvent que le sexe est après tout un comportement naturel, comme éternuer ou se gratter le cul, mais avec un joli cadeau à la clé. C'est là que se trouve la clé de lecture de Nymphomaniac. Le sexe, c'est normal. Même quand il y en a un peu trop.
Cette clé de lecture, à vrai dire, se trouve dans le personnage de Seligman, incarné par le sympathique Stellan Skarsgard. Ecoutant sans broncher les confessions de cette moitié de clodo retrouvée dans la rue, il apporte à intervalles régulier un regard critique, raisonné, et bien loin de tout jugement social au récit de Joe. Il joue en sorte le rôle du "realistic relief" dans le scénario. Alors qu'on sombre petit à petit dans les tourmentes de la jeune fille, il nous choppe par l'épaule et nous ramène à la réalité. La honte n'existe pas. L'auto dépréciation n'a pas sa place. Entre lui et Joe, il n'y a que de l'humain. Et c'est en cela que Nymphomaniac fonctionne très bien. Après quelques minutes de sueurs froides et de regards détournés, on passe outre les scènes de sexe certes pas hyper glamour, et on finit par suivre avec intérêt l'évolution de cette fille si singulière, à la fois si belle, si forte, et surtout si fragile, prête à se casser en mille tout petits morceaux dans sa furie sexuelle.
Alors non, Nymphomaniac n'est pas le film à voir au cinéma. On ne peut raisonnablement pas voir un tel film dans une grande salle, vide ou pleine, entre les gens qui reniflent maladroitement à tout bout de champ et ceux qui font semblant de trouver ça drôle, ou encore ceux qui se barrent pour protester contre le système. C'est un film à voir et à interpréter seul, dans son petit confort personnel, pour mieux pouvoir l'apprécier. L'effet n'en sera que meilleur.
Les multiples comparaisons avec les techniques de pêche, par exemple, m'ont décroché un sourire, ramenant une fois de plus le sexe et sa valse séductrice à une activité banale, récréative, avec ses codes et ses règles, et certains qui le comprennent mieux que d'autres. Et si beaucoup ont vu à l'écran un Lars von Trier piétiner de ses grosses pantoufles tous les tabous liés au sexe, j'y ai vu une vision sombre mais délicate, grave mais concernée, célébrant tous les aspects de l'âme humaine, sans distinction de bien ou de mal. Les multiples mentions et réflexions sur la mort, et sur la perte, apportent beaucoup plus de dimension à l'oeuvre qu'on ne voudrait le croire.
La dernière scène est d'ailleurs probablement la plus belle du film : Nymphomaniac ne traite pas d'une abondance de sexe, il traite d'un vide de sens.