“La jalousie, oui la jalousie...te rendra démon”


Et c’est bien ainsi que nous apparaît Caroline, brune intense, élégamment moulée de noir, qui darde sur sa visiteuse l’étrange feu de ses prunelles à l’expression presque sauvage.
Contraste frappant avec Isabelle, plus grande, plus claire, plus naturelle, dont le visage semble marqué d’un rêve intérieur, d’une douceur, d’une lenteur que revêtent tous ses gestes et jusqu’à sa voix, quand elle répond au ton protecteur voire incisif de son interlocutrice.


Dès les premières scènes, on comprend qu'une rivalité de longue date oppose les deux femmes, rivalité que semblent pourtant démentir les manières policées et le sourire savamment étudié de Caroline, Directrice d’une prestigieuse maison de couture.


Son regard perçant, auquel rien n’échappe, s’attarde sur Isabelle, sur ce visage souvent un peu étranger au monde qui l’entoure, sur l’éclat tendre de ses yeux, son sourire rêveur, la luminosité qui émane d’elle, la parant d’une grâce qui ne doit rien à la sophistication et la réduit, elle, la puissante Caroline, à n’être qu’une femme de goût au faîte de la mode.


Agitée, fébrile, sentant l’amant dont elle est follement éprise, lui échapper, elle n’a qu’une hâte : le retrouver, l’envoûter de nouveau, reprendre son empire sur lui, maîtresse ardente à l’attrait vénéneux.
Mais que vaut le désir physique quand au premier regard le trouble s’installe, quand l’envie d’une simple caresse devient aussi impérieuse que la soif qui vous tenaille, quand on ne peut se repaître de l’autre et qu’il occupe la moindre de vos pensées ?


Car c’est bien de cela qu’il s’agit : Jacques Barroy, l’industriel au beau visage glabre et au regard enjôleur, amateur de jolies femmes, est tombé amoureux comme un collégien de cette inconnue un peu timide, un peu hésitante, qu’une série de hasards a mise sur sa route, de cette femme dont son regard ne se rassasie pas, et qui, elle aussi, telle une toute jeune fille, se sent chavirer sous la ferveur amoureuse dont il l’enveloppe à chaque instant.


Amour, bonheur, et bientôt mariage, c’est un véritable conte de fées que vit Isabelle Leritz, pianiste virtuose célèbre, qui vient de passer deux ans en maison de repos à la suite d’un “accident” qui l’a vue s’effondrer inconsciente sur son instrument, lors d’une tournée aux Etats Unis, mais pour Jacques elle est Isabelle Moreux : il ignore tout de son passé et de ses liens avec Caroline Bessier, qui se trouve être aussi, ironie du sort, son ancienne maîtresse, à laquelle il vient de signifier, avec un cynisme qui confine à la muflerie, leur rupture définitive.


Et comme un malheur ne vient jamais seul, c’est Isabelle, qui toute à son bonheur, va donner le coup de grâce à sa demi-soeur en lui apprenant qu’elle s’apprête à épouser l’homme qu’elle vient de rencontrer et qu’elle aime... un certain Jacques Barroy.


Jalousie, vengeance et perfidie : qui saura jamais de quoi est capable une femme amoureuse et mortellement blessée ? Caroline brûle d’une haine tenace, terrible, inextinguible.
Instiller le doute dans l’esprit de sa soeur, évoquer sans ménagements sa “folie” et les possibilités de rechute, voilà de quoi alarmer sérieusement Isabelle, empoisonner sa vie et son union future avec Jacques, ébranlé par la révélation.


Une puissance de suggestion telle, que dans l’esprit de la jeune femme les frayeurs, les angoisses et les démons refont surface : l’une des scènes les plus marquantes du film, l’une des plus significatives aussi, est sans doute celle où Isabelle, seule au grenier -où elle avait fait remiser tous les miroirs-soudain prise de panique, aperçoit son visage dans la glace de l’armoire, tandis que son reflet dédoublé, vient rejoindre sa propre image avec un sourire moqueur.


Alors la femme fragile se révolte en elle, non, elle ne laissera pas la peur prendre le dessus et tout gâcher, sa décision est prise : elle repartira en tournée et rejouera Tchaïkovski au piano, le même concerto que ce jour-là, exactement.
Combattre le mal par le mal et vaincre la redoutable appréhension, tandis que
là-haut, dans sa loge, sa soeur, telle une araignée dans sa toile, épiera ses moindres gestes, sa plus infime défaillance, Isabelle le sait...


Ce film d’un cinéaste oublié d’origine bulgare, Henri Calef, c’est grâce à Bertrand Tavernier que j’ai eu l'idée puis l'envie de le regarder, grâce à son superbe documentaire sur le cinéma français et je ne le regrette pas: outre le fait qu’il m’a permis de revoir Simone Signoret, touchante, fragile et lumineuse, confrontée à une Maria Casarès impeccable et glaçante dans son rôle de bourreau et de victime, j’ai découvert à cette occasion un comédien de grande classe, un “prince charmant” du 7e art, Jacques Berthier, objet de désir dans une oeuvre où la question posée une fois de plus, est la difficulté de concilier amour et vocation professionnelle pour une femme.
Une belle histoire où l’amour apparaît comme l’antidote de la “folie”.


https://youtu.be/1tn2e3uz7jE : lien du film complet

Aurea

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