Dans l'éclat de l'aurore lisse,
De quels feux tu m'as enflammé,
O mon printemps, mon bien-aimé,
Avec mille et mille délices!


Je sens affluer à mon cœur
Cette sensation suprême
de ton éternelle chaleur,
Beauté qui commande qu’on t’aime. »


Goethe (Beauté de l’éphèbe)


Moscazzano, un nom qui sonne comme un dessert italien, petit village niché au cœur de la Lombardie où la famille Perlman, le temps d’un été, se ressource en un contact presque charnel avec la nature, s’immergeant une fois encore dans cet environnement rural qu’ils aiment et respectent, comme si, à l’image de la terre, des arbres, de l’herbe et des cours d’eau, ils ne faisaient qu’un avec une vie que rythme le cycle des saisons.


Un cadre bucolique et paisible où leur fils, Elio, se love avec bonheur, retrouvant deux fois par an la vaste demeure du XVIIe siècle, somptueux vestige du passé, érigée en pleine nature, à laquelle sa famille a su redonner, à défaut du lustre d’antan, les couleurs d’une vie simple et conviviale.


Et dans cette bienheureuse torpeur au parfum de culture qui aiguise son esprit et ses sens, qu’il l’exprime au piano par son jeu brillant et précis, par le regard curieux qu’il pose sur les êtres et les choses, ou par la ferveur nonchalante qui anime chacun de ses gestes, les jours s’écoulent dans une lenteur contemplative où le temps semble se figer.


Mais parce qu’«on n’est pas sérieux quand on a 17 ans», toujours dans l’attente et le manque à fleur de peau, le frêle adolescent, dévoreur de livres et de savoir, l’amoureux occasionnel de la pétillante Marzia, n’oubliera jamais cet après-midi de l’été 1983.


S’extirpant avec peine du taxi qui l’a conduit jusqu’à la villa, un grand jeune homme blond fait ses civilités, accueilli chaleureusement par la mère et le père d’Elio : l’éminent professeur, spécialiste d’art gréco-romain, devant aider le jeune Américain à préparer sa thèse de doctorat.


Le regard vif d’Elio capte d’emblée l’aisance naturelle d’Oliver, sa liberté d’expression, son sourire éclatant, et détecte sous l’ample chemise bleue, largement ouverte sur le torse hâlé du jeune homme, l’étoile de David, symbole des origines juives qu’ils ont en commun.


Sept ans seulement séparent les deux jeunes gens, mais si l’aîné, (Armie Hammer, fantasme incarné) jeune dieu grec à la beauté solaire, à la silhouette bien découplée, est déjà un homme accompli et sûr de lui qui adopte volontiers la posture du séducteur, Elio, avec ses boucles brunes indisciplinées, son petit visage fin et sa poitrine étroite, conserve le charme inachevé de l’enfance, que dément toutefois l’expression mûre et sérieuse de son regard bleu.


Au jeu du chat et de la souris on fait connaissance, on s’observe, on se toise, coups de patte, coups de griffe, les regards s’échangent, furtifs d'abord, bientôt appuyés et intenses : un trouble qu’Elio, dans son flirt estival avec Marzia n’avait encore jamais connu.


Oliver, lui, fait partie de ces êtres qui attirent le désir comme un aimant, à cet égard la scène de la danse, le soir, à Crema, où se retrouve toute la jeunesse alentour, est porteuse d’une tension sexuelle rarement atteinte dans un film, par ailleurs d’une extrême douceur.


Le regard d’Elio se fait lourd, tendu, ses yeux ne quittant plus Oliver, qui, pâmé sur la piste et devenu le point de mire des filles émoustillées par sa présence glamour, multiplie les jeux de jambes, au rythme de « Love my way », conscient du trouble qu’il provoque et plus encore du sien propre dans cette ambiance chargée d’électricité et de non-dits.


Curiosité, admiration, puis bientôt obsession, le cinéaste filme cette escalade sensuelle avec un vrai naturel, une sorte de grâce complice, apprenant à ses personnages l’art de la lenteur, parvenant à « capturer la quintessence de ces moments où a priori rien ne se passe et où pourtant, à l’intérieur tout se bouscule.»


Le Désir prend son temps, à l’ombre du secret, muet d’abord et interdit, puis, trouvant sa voie, il s’insinue à travers les regards cachés, les gestes, les touchers furtifs, tout un univers que découvre Elio sur le son envoûtant de Mystery of Love.


« Sans nuance, le véritable désir ne peut pas naître »


Semble nous dire Guadagnino par le biais de scènes qui peignent admirablement le caractère idyllique et trouble à la fois, de la naissance des premières amours, laissant le temps au temps pour savourer la moindre sensation, le moindre détail, au détour d’une parole, d’un regard, d’une bouche qui s’entrouvre, se donne puis se détourne, dans une attente délicieuse et insoutenable.


La pause à la fontaine où ils libèrent enfin la parole, la pêche, le fruit tentateur gorgé de soleil, symbole de ce délire des sens qui saisit Elio à la seule pensée d’Oliver, partagé qu’il est entre le désir de la mordre et de la posséder, véritable transfert érotique, voire la découverte de la statue antique dont la beauté les rapproche et les émeut, des scènes qui nous restent en mémoire longtemps après les avoir vues.


« Mon film ne doit pas être perçu comme une œuvre hyper-intellectualisée mais comme une histoire d’amour attendrissante et exaltante, c’est une boîte de chocolats dans laquelle on pioche avec gourmandise »


Déclare le réalisateur qui clôt ainsi sa trilogie du désir à travers le prisme de cette idylle de jeunesse.


L’histoire passionnelle qu’auront connue Elio et Oliver, brève et intense, parenthèse radieuse, grand rêve éveillé mais à la fin inéluctable, les laissera éblouis et profondément malheureux : est-ce à dire que l’instant précis ne valait pas la peine d’être vécu ?...


Vie, désir et souffrance sont indissociables mais le privilège suprême reste le sentiment amoureux qu’il faut «chérir même dans la douleur plutôt que de s’en éloigner» : ce que fera comprendre le père à son fils lors d’un échange d’une justesse et d’une émotion à fleur d’âme, une «confession» d’homme à homme où Michel Stuhlbarg et Timothée Chalamet jouent leur partition avec une pudeur et une sincérité bouleversantes qui nous chamboulent, scène mémorable s'il en est, tant elle est vraie et rare, ô combien !


Ici, pas de reproches ni de morale convenue, juste l’invitation à profiter du cadeau qu’est l’existence et à vivre pleinement sa vie en prenant son envol.


Un film lumineux et solaire d’une grande beauté, qui nous entraîne à sa suite dans les méandres d’une passion juvénile et incandescente aussi belle qu’irréelle et où à l’instar d’Elio et d’Oliver on voudrait se perdre, indéfiniment.

Aurea

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