Deux ans après Drive (prix de la mise en scène Cannes 2011), la Croisette attendait avec impatience Only God Forgives, le nouveau film de Nicolas Winding Refn.
Une horde de festivaliers se bousculaient donc le jour de la projo en bas des marches, pour découvrir le nouvel opus du désormais vénéré réalisateur danois. Et pourtant, à entendre les commentaires dans la foule, la plupart d’entre eux ne connaît pas Pusher, Bronson, Le Guerrier Silencieux, les autres films de Winding Refn, autrement plus originaux et talentueux que Drive.
« C’est le gars qui a fait Drive avec la super musique de Kavinsky il y a peu », on entendait.
Je ne sais pas ce qu’attendaient ces fans de Drive. En ce qui me concerne, j’imaginais quelque chose d’idéal : l’esthétique rougeâtre des bas-fonds de Pusher (pour la dose de violence), la puissance d’abstraction du Guerrier Silencieux (pour la dose de méditation), la rigueur et le charisme de Bronson et le je ne sais quoi de Drive (la dose de Ryan Gosling ?)… mais la piste Drive, je la sentais un peu foireuse…
Bon, ben déception. Non pas que Only God Forgives soit le Drive 2 que je redoutais (j’ai bien aimé Drive, mais un seul suffit). Winding Refn reprend bien les différents aspects qui ont fait son succès, mais à trop forcer le trait, il tombe dans l’auto-caricature. On note d’ailleurs une nouveauté dans son style : une (forte) dose de Wong Kar-Wai (avis aux amateurs du récent The Grandmaster).
Alors voilà, Ryan Gosling fait du Ryan Gosling : toujours ce minois impassible quoi qu’il arrive. Qu’il soit en train d’apprendre la mort de son frère, de regarder une fille jouir, de se faire matraquer par sa mère ou de se prendre une grosse raclée en boxe, l’expression de son visage est la même.
Et Winding Refn fait du Winding Refn : du rouge partout, beaucoup de ralentis, un peu de musique électro post-apocalyptique au moment clé, des poses d’acteur à l’infini, et une succession de plans plus léchés les uns que les autres.
Alors oui, c’est somptueux, vraiment. Mais le film est d’une autosuffisance sans nom. L’ambition de Only God Forgives est claire : Nicolas Winding Refn veut convaincre, et sidérer le public par la beauté de sa mise en scène. Le talent est là, c’est indéniable, il est rare de voir une telle maîtrise de la lumière et du cadre. Mais à force de vouloir épater la galerie, le film perd son aura et met le spectateur à distance. Au point qu’on regarde la scène de torture, climax du film (la seule qui n’est pas au ralenti, non ?), d’un œil distrait.
Et ça se finit en sifflements au palais des festivals : le film est hué par une partie des fans de Drive pour qui manquent le côté mélo et le suspense du thriller, par ceux qui ne connaissaient pas (parce qu’il faut maîtriser les codes du désormais maître Winding Refn pour apprécier), et par tous les amateurs de la première heure, tristes de constater qu’un prix de la mise en scène à Cannes et quelques millions d’entrées ont suffi à envoyer l’égo du réalisateur danois dans la stratosphère.