Voilà une Palme d’or jubilatoire et fédératrice qui ne devrait pas subir beaucoup de voies contestataires tant elle sait être à la fois universelle, accessible et diablement originale. Et le fait que la récompense suprême arrive entre les mains de ce « Parasite » qui lorgne souvent vers le(s) film(s) de genre est encore plus appréciable. On peut également souligner les nombreuses similitudes et accointances sur le fond avec la Palme de l’an passé, « Une affaire de famille », du voisin japonais. En effet, sous couvert d’un thriller retors et malin, Bong Joon-ho nous parle de la violence sociale entre classes qui a cours dans son pays envahi par le capitalisme à l’américaine. En cela, la maison où se déroule la plupart de l’action du long-métrage est la représentation allégorique de la confrontation perpétuelle entre riches et pauvres et de ce système capitaliste. Les riches restent à la surface, déconnectés de la réalité vécue par les pauvres qui, eux, se terrent dans les étages inférieurs voire au sous-sol. La conclusion est implacable et nihiliste montrant d’ailleurs bien que rien ne peut changer dans cet ordre établi, de plus en plus propice aux inégalités qui enflent. Cette confrontation humaine au regard très aiguisé raconte donc en creux notre époque notamment dans notre monde occidental, tout en divertissant le spectateur grâce à une intrigue en or massif et toujours surprenante. Les rapports d’argent, d’égo et de pouvoir sous-jacents entre nantis et prolétaires sont admirablement retranscrits. En cela, cette œuvre qui fera date pourrait être vue comme le pendant contemporain et dégénéré du chef-d’œuvre « Gosford Park » de Robert Altman qui disséquait également ces rapports entre maîtres et serviteurs comme ici. Mais de réussir à ancrer un discours social et politique si intense et de manière à la fois si limpide et si fine est un tour de force impressionnant, surtout au sein d’un thriller en huis-clos flirtant avec le film de genre.
Et bien des genres! Et c’est là l’autre force de ce magistral film. On a rarement vu long-métrage sachant voguer d’un genre à l’autre, changer de ton si rapidement et habilement, allant même jusqu’à des ruptures osées mais toujours bien négociées. Un équilibre fragile que garde « Parasite » sans jamais tomber du fil ténu sur lequel il évolue. On passe de l’étude sociale et humaine au thriller en huis-clos en passant par la comédie puis le drame et en effleurant même le film d’épouvante, mais ces basculements s’opèrent toujours d’une manière fluide et naturelle qui force le respect. Le film n’est pas avare en scènes cultes et/ou mémorables et il se rapproche en cela par bien des aspects d’une œuvre de son compatriote Park Chan-wook, « Old Boy », également récompensée à Cannes et tout aussi folle. La mise en scène est ici d’une précision chirurgicale confinant à la perfection. Chaque plan est savamment travaillé de manière à faire monter la tension et surprendre le spectateur. On sent que toute cette arnaque va mal tourner, que le ver est dans la pomme, insidieux, et que le suspense va monter crescendo. Quant au scénario, sa charpente est impeccable et il réserve de nombreux rebondissements rebattant constamment les cartes. « Parasite » est donc une tragi-comédie palpitante et pleine de surprises, aussi puissante et baroque sur le fond que virtuose sur la forme. Une satire sociale jubilatoire et prenante qu’il faut absolument découvrir et qui mérite son plébiscite.
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