Après un Welcome to New-York complaisant et verbeux, Ferrara accouche d’un film étonnamment pur, d’une humilité entièrement dévouée à son objet, où la simplicité du geste n’a d’égal que son caractère déconcertant. Son Pasolini esquive le biopic pour des sentiers plus secrets, où la restitution documentée, presque aplanie, d’un quotidien, est pourtant constamment élevée à la dimension d’une véritable tragédie, d’une élégie en clair-obscur (Ferrara ne s’intéresse ici qu’à la dernière journée de l’artiste). Afin d’épouser la psyché d’un être aux multiples facettes, le réalisateur de Bad Lieutenant (1992) opte pour une narration fragmentée, à la fois maîtrisée et volontairement nébuleuse. C’est, dans le même temps, sa limite et sa force.

Si le récit, éparpillé aux quatre vents, s’enlise dans un effet « inventaire de situations » des plus assommants, il témoigne pourtant d’une belle audace dans sa manière toute singulière de traiter à équivalent tous les aspects (familiaux, sexuels, intellectuels, fantasmatiques) d’une vie : à chaque élément est accordée la même valeur, la même durée. Ainsi, monde intérieur et extérieur, rêveries et trivialité du quotidien s’y côtoient dans un même flux, unique et indivisible, celui de la vie, alors même que chaque instant, ployant sous une chape crépusculaire, exhale le parfum âcre des temps finissants, sécrète le léger frémissement d’un soupir qui n’en finit plus de s’éteindre.

Quelque chose, cependant, ne prend pas. Une manière déroutante de tenir à distance, une sorte de froideur solennelle repliée sur elle-même, comme un travail d’esthète qui aurait oublié de parler avec le cœur. En résulte une œuvre étrangement désincarnée, presque spectrale, comme mort-née. Alors que tout le film est censé baigner dans une atmosphère de finitude, ce n’est que dans ses toutes dernières secondes que l’émotion point, le temps d’un plan a priori anodin et qui pourtant résume à lui seul Pasolini, l’homme et l’artiste : à travers la figure de cet agenda ouvert, c’est toute une poétique qui s’exprime, celle de la vie interrompue en plein élan, celle de l’être arrêté au milieu de son geste, celle de l’oeuvre à jamais inachevée.
CableHogue
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le 31 déc. 2014

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