A l'image du cinéma de Borzage, Peter Ibbetson est un film sur l'amour fou, celui qui perdure à travers le temps et l'espace. Dans les deux cas ce sentiment est tellement intense, exacerbé, qu'il n'en devient jamais niais. Son amplitude et sa capacité à envahir le cadre fait qu'il atteint une sorte d'absolu, intouchable.
L'histoire est celle d'un amour d'enfance, celui que l'on ne peut oublier et qui vous hante toute votre vie.
Là où Hathaway se démarque de Borzage, c'est dans la façon de traiter cet amour. Les deux en ont une conception très différente, et si le résultat paraît être identique, c'est beaucoup plus tragique chez Hathaway.
Borzage conçoit l'amour fou comme capable de reléguer le réel au second plan de sorte que l'on ne voit plus que lui, et le nid-univers que se fabriquent les deux amants. Sa force, sa montée en puissance est continuellement accompagnée d'un mouvement ascendant, vers le paradis, vers le 7ème ciel (Seventh Heaven).
Dans Peter Ibbetson, le mouvement est horizontal. Borzage œuvre dans l'explosion momentanée, Hathaway dans la linéarité du temps, de l'enfance à la fin de la vie.
Horizontalité aussi dans le rapport qui uni, ou plutôt qui éloigne les deux amoureux, jusque dans le hors champs.
Un parallèle se met en place entre la séparation dans le cadre, et le rapprochement sentimental. L'union des deux corps dans le cadre, symbole d'accomplissement, ne peut se faire. Un obstacle est continuellement sur leur trajectoire. Pourtant, le temps d'un instant précieux, cet obstacle est contourné.
Ca peut être une grille en fer, le passage étant encore possible, il faut se faufiler.
Ca peut être un destin tragique : la mort de la mère de Peter qui entraîne un nouvel éloignement : à l'écran Peter est dans le sombre intérieur de sa maison, au chevet de sa mère, en arrière plan la fillette est seule dans la clarté du jardin. Pourtant ce décès permettra de les réunir quelques jours : ensemble du même côté de la grille.
Ca peut être une séparation géographique, le garçon doit partir chez son oncle à Londres, la fillette reste à Paris.
Ca peut être, plus tard, un mari qui se positionne entre les deux amoureux.
Ca peut être une autre grille, celle de la prison.
Et ça peut être la mort.
On avance dans le temps, mais la matérialisation de cet amour, qui est là, grandissant, envahissant les corps, ne pourra jamais se faire de façon continuelle dans l'espace, dans le plan. Comme chez Borzage, ils ne restent aux personnages que des instants, précieux, magiques, d'autant plus intenses qu'ils sont courts.
Mais cette idée de contournement va leur permettre d'atteindre un moment ultime qui n'appartiendra qu'à eux. Ils ne contournent plus des obstacles, ils contournent le réel. Leur amour qu'ils n'auront jamais pu exprimer librement dans le réel, ils le vivent dans le rêve. Un rêve commun, un univers qu'ils se construisent à eux, rien qu'à eux, façonné par leur amour (Inception n'a rien inventé), dégagé de toutes contraintes. Le temps d'un rêve, chaque nuit (comme l'heure suprême qu'attendaient les amoureux de Borzage), ils sont réunis. Vers un autre rêve, éternel celui-là.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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