La perfection formelle de ce film a provoqué parfois en moi un ennui poli, une impression de robinet d'eau tiède trompé que j'étais par la maîtrise absolue.
Puisqu'il semble question d' Amour, je ne l'ai pas ressenti en ma chair. Rien sur ma peau et la leur ( cela se joue à l'intérieur, ah le ventre siège des émotions, et sur l' étoffe des choses.
Du sur mesure à l'image de la scène de première baise, remplacée par une séance d 'essayage glaçante pour moi. L’obsédé de sa mère morte ( à ne pas confondre avec celle qui sépare Jordanie et Israël, c'est volontairement nul de ma part pour casser un discours trop poli sur un film bien taillé ) aurait bien pu, de la même façon prendre les mesures du corps de sa mère pour lui façonner une tenue de voyage éternel dans son cercueil...


P T Anderson lorgne du côté des maîtres du contrôle Hitchcock et Kubrick, et si j'avais aimé Magnolia et Boogie Nights, plus imparfaits, plus mégalo, ce film en apparence assagi m' a quelque peu trompé en le voyant. Je n'ai pas assez prêté attention aux détails, comme le travail extraordinaire sur le son ( merci Matyyy) pas uniquement pour souligner le beurrage agaçant de biscotte. Plus préoccupé par le travail sur l'image je fus, pas une once de flou que nous inflige ordinairement le cinéma numérique contemporain, dieu que c'est agréable, on se sent confortable comme Reynolds.
J'ai aimé ne pas être séduit par Alma, me laisser surprendre par elle, heureux de la voir devenir la vraie héroïne du film en lieu et place du couturier si impeccablement joué par DD Lewis ( t 'es chiant mec, je t'ai jamais kiffé pas désolé ). Elle déjoue les plans du duo frère/soeur infernal, quasi hitchcockien.
Oui voilà ça y est, ça vient, le prendre ainsi le film comme un thriller, et non une sublime tragédie.


Ne pas se laisser prendre au jeu des apparences, le couturier sous son armure de mufle élégant est fragile comme un fils à sa môman, la sœur se laisse aussi manipuler malgré ses airs de monstre froid, et Alma, cette grande bécasse naïve, complexée, peu diserte, ordinaire comme une omelette sans sel se révèle une stratège hors pair, et je l'ai mal saisi sur le moment, la faute à Anderson et sa virtuosité dans la scène finale de la préparation de l' hommelette, une authentique amoureuse. Affaiblir son homme pour mieux le dominer, ou briser son armure par amour pour lui, pour lui ouvrir le cœur claquemuré, dépassant le sadomasochisme pur.


Le film est trop pris à son propre jeu de nous surprendre, qu'il oublie de nous émouvoir. La faille est là, l'imperfection originelle d'un cérébral.
Les fulgurances ne manquent pas pourtant, la course folle de l'automobile qui m'a électrisé, l' appétit d'ogre rentré contrastant avec l' anorexie morale du type le reste du temps, la scène de bal du 31 décembre, l'accès de jalousie de notre triste sire en pleine face, ou enfin le grotesque de la cliente grosse vache vulgaire.
Le perfectionnisme du couturier, sa manie du mot secret cousu à un revers en font-ils un artiste?
J'aurai tendance à m' inscrire en faux, contre le courant ambiant.
Si j'ai été satisfait de le voir humanisé, contrat rempli, je regrette de ne pas avoir vu Alma mieux mis en valeur encore, prenant son envol en Albatros... Ayant atteint son bonheur, elle perd son relief comme par magie.


Un film à revoir, bon vin qui vieillira pour nous ravir alors.


(Allez je passe de 7 à 8... par anticipation )

PhyleasFogg
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le 9 mars 2018

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PhyleasFogg

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