En apparence, le cinéma de Jean-Luc Godard n’est pas celui du temps mort : on peut voir ses films comme une profusion d’idées et d’expressions se juxtaposant les unes aux autres, laissant alors peu de place à une forme de contemplation. Et pourtant, ce cinéma m’est toujours apparu comme travaillé par la notion de temps, avec une volonté infaillible de dépasser les limites de la seule compréhension par des effets de saturation du sens, permettant d’atteindre un sentiment d’absolu. En d’autres termes, en voyant un film de Godard, il y a la recherche d’une forme d’infini. Mais la multiplication des signes (citations écrites ou visuelles), qu’on connaît chez lui, n’est pas l’unique moyen de l’atteindre. Pour Godard, la nature est le lieu d’un temps qui s’arrête, pur moment de contemplation ; il a même une légère préférence pour l’eau (qu’elle vienne de la mer, de l’océan ou d’un lac) et le soleil qui s’y reflète. Est-ce un trait romantique de plus dans son cinéma ? Il y a un peu de cela, mais j’aimerais partager une réflexion, inspirée d’un revisionnage de Pierrot le fou (1965). Le film de Jean-Luc Godard le plus connu, un des plus appréciés, un des sommets de sa première période (qui va, en caricaturant, d’A bout de souffle à Week-end) ; et peut-être celui qui explicite le plus son rapport à la nature et à l’absolue.


Le moment qui m’intéresse se situe à la fin : *Pierrot le fou* se termine sur une explosion. Après avoir tué Marianne (Anna Karina), son amante et complice, quoique tout au long du film ce fût compliqué, Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) termine son périple par un suicide. La scène est connue : il va sur une falaise située au bord de la Méditerranée, se peint le visage en bleu, puis se recouvre de dynamites couleurs rouge et jaune. En allumant la mèche, Ferdinand regrette son choix, mais, dans un ultime geste burlesque, n’arrive pas à l’éteindre à temps : l’explosion qui a lieu est alors filmée à environ 100m sur la même falaise. Pendant un moment de silence et de flottement, la caméra panote légèrement vers la mer. On entend une voix-off qui chuchote l’ultime citation du film : 

« Elle est retrouvée !


Quoi ? l’éternité.


C’est la mer mêlée


Au soleil. »


Ce poème d’Arthur Rimbaud (sorte de poème dans le poème dans Une Saison en enfer) sera donc la conclusion d’une course effrénée du personnage vers l’absolu.


Pierrot le fou a beaucoup été analysé, notamment dans ses jeux de références que Jean-Luc Godard affectionne. Il ne s’agira pas pour moi de les relever une nouvelle fois, mais au contraire de chercher ce qui dépasse la question du signe. Car il me semble que cette fin rimbaldienne, si elle passe par le langage, est une des incursions les plus singulières de Godard vers la nature et à une temporalité rare (mais pas inédite) dans son cinéma : une forme de « hors-temps », lié à la mort.


Pour lire la suite: https://www.entretempscinema.com/post/a-la-recherche-de-l-%C3%A9ternit%C3%A9-pierrot-le-fou

Malossanne
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le 16 août 2021

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Malossanne

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