En 1940, le deuxième chef d'oeuvre Disney laisse un bel héritage. Réveillons nous !


  1. Deux ans plus tôt sortait sur les écrans le premier long-métrage d’animation du cinéma qui a marqué le public : « Blanche-Neige et les sept nains » ; et la success story Disney de commencer.
    En surfant sur la gloire, Walt Disney décida de rempiler en produisant une aventure gargantuesque financièrement, « Pinocchio », RKO le distribuant. Sortie en 1940 (donc) aux Etats-Unis, il ne sera projeté en France qu’à partir de 1946 en raison de la 2nde Guerre Mondiale.


Synopsis : Geppetto, artisan inventeur, vient de terminer une marionnette qu’il baptise Pinocchio. Ce vieil homme fait le vœu qu’il se transforme en petit enfant. La Fée récompense Geppetto en donnant vie à Pinocchio. Mais la marionnette de bois va devoir prouver son mérite…


Le scénario se base sur un recueil de chapitres « Les aventures de Pinocchio » écrites par Carlo Collodi, ancien journaliste italien florentin. En effet, lorsque l’histoire commence, le village qui nous est présenté ressemble énormément à ces villages alpins italiens avec ses rues étroites, escarpées et le style de ces maisons ‘à l’italienne’.
L’on est ainsi transporté dans l’histoire que nous narre le vieux criquet Jiminy qui nous présente tous les personnages, un à un, tous par ailleurs très bien doublés.


L’inventeur Geppetto, fabricant d’horloges et de coucous tous plus tarabiscotés les uns que les autres, avec sa moustache et sa bonhomie fait davantage penser à un vieux sage qui ne cherche que la reconnaissance en souhaitant vie et parole au dernier gadget qu’il a fabriqué. Il est donc ce père vieillissant et attendrissant entouré de Figaro son compagnon de chat et de Cléo le poisson. Geppetto, installé dans son atelier qui lui sert de maison, est en recherche d’une vie meilleure qu’il n’a pas eu. Pauvre et malheureux, l’artisan du village avec sa seule lumière allumée fait écho à la vie des vieilles personnes rurales qui ont survécu à la 1ère Guerre Mondiale qui s’apprêtent à revivre des années de guerre. Sans doute a-t-il perdu femme et enfant lors de la Grande Guerre ? Ou simplement est-il usé par une dure vie de labeur. Dans tous les cas, le personnage est rudement travaillé.


Pinocchio, quant à lui, est ce petit bambin naïf, curieux et futé. Avec son chapeau et ses habits tyrolien, affublé d’un nez qui s’allonge lorsqu’il ment (au passage, magnifique séquence animée avec la Fée bleue, sa Mère protectrice), le héros du film s’embarque malgré lui dans des aventures qu’il n’avait pu imaginer. Entre le théâtre de marionnettes dirigé par le très peu scrupuleux Stromboli, son voyage dans l’Ile enchantée (destinée à faire des enfants des ânes qui sont ensuite vendus dans des mines de sel ou des cirques) ou son courage pour affronter Monstro la baleine, Pinocchio est l’innocence même du film. Pour prouver qu’il peut devenir un véritable petit garçon, le pantin décide d’avoir comme conscience le fameux conteur Jiminy, tout petit criquet qui n’a finalement besoin de personne et qui se laisse embarquer dans toutes ces aventures. Pinocchio est ce héros animé à qui l’on s’attache grâce à sa fougue et sa vivacité. Le lien père-fils qu’il forme avec Geppetto fait la force émotionnelle du film face à tous les ennemis qui l’entoure. Un excellent duo !, méticuleusement connecté.


Ainsi doté de personnages riches et calibrés, le scénario s’épaissit et le récit initiatique de Pinocchio se double d’une métaphore intelligente sur le monde du spectacle. Avec le cirque de marionnettes de Stromboli, la notion de star se fait entendre et résonne comme l’actuel star-system. Et à bien des égards, on pense bien sûr à l’American way of life et ses dérives. En 1940, cette production Disney anticipait le futur et nous mettait en garde contre cette société consumériste et fabricationniste de star. Très beau boulot messieurs les scénaristes ! D’autant qu’ils en profitent pour dénigrer l’esclavage en montrant la déconcertante insouciance des enfants, sur l’Ile enchantée, en les transformant en ânes. La crédulité du monde des adultes ainsi mise à mal, transforme l’histoire en un pamphlet sur la déchéance de l’adulte et un réquisitoire pour la liberté enfantine.
Le monde du spectacle ainsi dénigré me fait totalement penser au « Citizen Kane » d’Orson Welles sortie un an plus tard aux Etats-Unis. Etrange, non ? Walt Disney précurseur et moderne dans le traitement de son scénario ? Totalement.
Un scénario étoffé donc pour une fable onirique sur le désenchantement de l’âme humaine. Coup de chapeau tyrolien messieurs les scénaristes !!! Surtout quand on pense que la Chasse aux sorcières n’a pas encore eu lieue et que la ségrégation est encore bien présente aux Etats-Unis… !


Du côté de l’animation, on en prend plein les yeux ! Tout est soigné, propre. Le cadre est juste magnifique, les enchaînements sont parfaits (le montage colle admirablement avec les aventures de Pinocchio) et le rendu visuel (les couleurs) est toujours aussi net et au rendez-vous des émotions des personnages. Ça fait cheap, on frissonne à quelques moments et je me dis que les quelques 1500 nuances de couleurs utilisées ont participé à cette révolution technique et artistique depuis « Blanche-Neige et les sept nains ». Déjà que le film cité précédemment était un sommet de l’animation, les animateurs ont ici repoussés leurs limites pour nous transporter corps et âmes.


Aux commandes de l’animation : Eric Larson, Frank Thomas, Ward Kimball, Milt Kahl, Wolfgang Reitherman.
Les superviseurs des mouvements de certains personnages : Les Clark, Ollie Johnston, John Lounsberry. Avec Marc Davis (qui n’officie pas sur ce film d’animation), ils font partie des Nine Old Men : les Neuf sages de Disney. Surnom trouvé par Walt lui-même en référence aux neuf juges de la Cour suprême des Etats-Unis de Franklin Roosevelt.
Les neuf fantastiques de l’animation pour ainsi dire.


Dessinateurs, animateurs, réalisateurs et/ou producteurs, ils sont les inventeurs des douze principes de base de l’animation dont l’idée principale est de produire une illusion très réaliste des mouvements des personnages et des objets. Des pionniers et des maîtres du dessin, du graphisme, de l’animation et de la synchronisation des séquences animées des personnages et des objets.
Les neuf sages de Disney ou l’Animation avec un grand A. Bravo messieurs (!) et merci de faire encore vibrer et frissonner les enfants de 2020. 80 ans après, ils restent la référence de l’animation ! Pas étonnant de leur part qu’ils aient écrits et dessinés (sur papier !!!) les plus belles pages de l’animation chez Disney : « Blanche-Neige… », « Fantasia », « Dumbo », « Bambi », « Cendrillon », « Peter Pan », « La belle et le clochard », « Les 101 dalmatiens ».
Des pionniers et des pontes. Excellentissime !


En revanche, la musique et les parties chantées de « Pinocchio » commencent à vieillir mais restent ancrées dans le contexte Disney des années 1940. Des partitions joyeuses et enjouées qui ont quand même reçu deux oscars. Celui de la meilleure musique et de la meilleure chanson (« Quand on prie sa bonne étoile », l’air d’introduction).


Les réalisateurs de « Pinocchio » ont fait du beau boulot et peuvent se targuer, en ayant un scénario intelligent riche émotionnellement et une animation supervisée de mains de maîtres, de faire partie des Disney enchanteurs et de devenir ainsi un classique instantané du cinéma d’animation acclamé par la critique dès sa sortie tout en étant le dessin animé le plus cher de l’époque.
Les deux principaux réalisateurs sont Ben Sharpsteen et Hamilton Luske.


Le premier, animateur et réalisateur de séquences sur les courts-métrages de Disney des 30’s puis producteur à partir de « Fantasia », fut le responsable d’équipe d’apprenti avec David Hand (le futur réalisateur de « Blanche-Neige… »). Sharpsteen et Hand ont donc ainsi formé les Reitherman, Kimball, Ollie Johnston… les fameux Nine Old Men !
Merci à eux aussi et à toute l’équipe Disney pour cette transmission d’héritage, encore aujourd’hui.


Le second, Hamilton Luske, animateur comme Sharpsteen à ses débuts puis sur « Mary Poppins » (la version des 60’s), réalisera « Fantasia », « Peter Pan », « Les 101 dalmatiens » … .


Une équipe Disney investi donc et qui transmet les valeurs de l’animation à des apprentis passionnés (les 9 sages) qui eux-mêmes vont inspirer la génération suivante (Musker, Clements, Allers, Minkoff…). Une entreprise familiale unique et unie. J’adhère …à 200% !


Pour conclure, « Pinocchio » (1940), considéré comme le chef d’œuvre ultime de Disney, porte indéniablement le style de l’Oncle Walt qui a su insuffler modernisme au cinéma d’animation.
Classique instantané du septième art pour le deuxième chef d’œuvre du cinéma d’animation.


Pour la mémoire collective.


Spectateurs en manque de culture …réveillez-vous !!

brunodinah
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le 2 janv. 2020

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brunodinah

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