Qu'on lui coupe la tête

Vous vous souvenez de l'épisode précédent, La Fontaine de Jouvence ? C'était pas très bien. Ça se suivait, mais on était très loin de la réussite des deux premiers opus. C'est ce qu'ont dû se dire les scénaristes de ce nouveau volet puisqu'ils ignorent royalement cet épisode, se contentant de boucler en 2mn une de ses intrigues secondaires dont personne ne voulait afin de rétablir le statu quo. De même qu'ils raccrochent les wagons avec la 1ère trilogie, mais sans intégrer cela organiquement au récit : c'est inséré à l'arrache, juste pour que ce soit fait et amorcer une suite annoncée dans une scène post-générique qui me désespère.

L'histoire nous conte une nouvelle course au trésor entre un Jack Sparrow qui n'a plus rien à nous dire et un nouvel équipage de spectres (notez la nuance par rapport aux maudits, aux hommes poissons et aux zombies). Mouais, ça commence à vraiment trop sentir la redite mais après tout ok. Balancez nous les scènes épiques improbables et les retournements de situation qu'on aime dans la saga et peut-être que ça passera. Et effectivement les réalisateurs ont voulu se concentrer là dessus en se faisant plaisir lors de moments que ne renierait pas un Fast & Furious période Dwayne Johnson (si ça vous décourage sachez que ce n'est pas voulu). Mais la motivation n'est plus là. Déjà parce que Jack Sparrow n'est plus que l'ombre de lui-même. Le film parait appuyer sa déchéance et c'est bien là qu'il aurait fallu se diriger pour redonner de l'intérêt à ce personnage dont la gloire est passée, mais cette idée est abandonnée très vite. Jack ne se remettra pas en question et redeviendra une figure de coolitude comme si rien ne s'était passé, comme si ses erreurs n'avaient pas d'impact. Et au lieu de retrouver une occasion de s'intéresser à son sort on doit juste se farcir un clown bourré qui se prend pour plus malin qu'il ne l'est réellement, soutenu par des réalisateurs qui semblent l'idolâtrer. Le point fort des deux premiers Pirates des Caraïbes devient son point faible, on en a marre de son numéro.

Jack Sparrow est toutefois un brin moins omniprésent que dans La Fontaine de Jouvence grâce à la présence de deux petits nouveaux : un simili Will Turner en moins charismatique, et une nouvelle femme badass bien plus convaincante. Kaya Scodelario s'intègre parfaitement à la série et offre une bouffée d'air frais au milieu des pitreries de Johnny Depp. La manière dont les personnages la regardent lui offre un intérêt qui va au-delà du rôle ingrat de seconde Elizabeth Swann, c'est peut-être l'une des seules vraies nouveautés du film. Parce que Javier Bardem a beau être un bon acteur bien iconisé dans le film qui lui accorde beaucoup de place, son personnage n'est qu'un nouveau Davy Jones en moins développé. Quand à Geoffrey Rush, son Barbossa n'est plus que l'ombre de ce qu'il était. Son implication dans l'histoire est minime et je n'ai pas la moindre idée de ce qui le pousse dans une direction aussi absurde. Son rôle scénaristique ressemble d'ailleurs à de la mauvaise fan-fiction.

Quant au déroulé de cette course au trésor, elle est mollassonne. L'histoire met beaucoup de temps avant de démarrer, mais ce n'est pas pour du set-up. C'est juste qu'on rajoute des micro péripéties pour faire durer le script, comme avec le caméo inutile de Paul McCartney qui raconte une blague pas drôle avant qu'on l'oublie. La course au trésor en elle-même n'est pas du tout inspirée, elle manque du sentiment épique que l'on ressentait lorsque Jack était poursuivi par les pirates immortels de Barbossa. On fait des détours qui ne servent à rien, on ajoute un flashback plus long que nécessaire, et surtout on met beaucoup de mauvaises blagues parfois très embarrassantes. Je retiens quand même la blague sympa sur la définition d'astronome par les pirates et quelques scènes d'action qui pensent à user du ridicule de la situation. Mais à côté de ça on doit se farcir des horreurs comme ce sommet de comédie où Jack est menacé d'embrasser une femme qui ose être grosse et repoussante. Jack fait des grimaces terrifiées, la femme fait claquer sa salive pour augmenter le dégoût, la salle se marre beaucoup trop devant cette mise à mort du respect sacré et j'attends qu'on me délivre de cette gêne aussi profonde qu'inutile, les personnages concernés disparaissant aussi vite qu'ils étaient apparus.

Il reste l'action me direz vous. C'est vrai, il y a une poignée de scènes cool à la Pirates des Caraïbes qui poussent le délire comme on les aime. Une poignée. Parfois mal filmées en plus. Il y a une scène de combat naval nocturne, c'est déjà pas facile d'y voir quand la luminosité n'est pas au poil mais on peut s'y faire, sauf que si on rajoute plein de flashs aveuglants à la con c'est mort moi j'abandonne. C'est le passage aussi qui m'a fait comprendre pourquoi les précédents opus réussissaient si bien les combats navals : ils faisaient monter la pression, ils géraient très bien l'espace, ils étaient lisibles et ils duraient le temps qu'il faut pour avoir de l'ampleur. Pas comme là quoi. Surtout qu'après nous avoir signalé 3 fois que le vaisseau des méchants dispose d'une botte secrète imparable, voilà qu'ils décident de ne pas l'utiliser contre les gentils. Alors qu'on n'attendait qu'une chose, c'était de voir comment ils affronteraient un vaisseau pareil. Syndrome "Les 4 Fantastiques", "X-Men Apocalypse", "Les Gardiens de la Galaxie 2" et plein d'autres, si on rend un adversaire surpuissant on assume, on lui fait pas downgrader sa puissance juste pour que les gentils puissent gagner.

Et puis il y a ce climax et cet épilogue qui sont bien embarrassants. Malgré certaines exubérances amusantes on a un peu trop l'impression d'être devant un mauvais sentaï, un peu comme devant la fin du dernier Les 4 fantastiques (en moins raté quand même, faut pas déconner). Quant à l'épilogue, il rapproche de nouveau le film d'un Fast & Furious pour son statut de très mauvais soap avec des personnages qui débarquent de nulle part pour achever un arc en 4e vitesse. Sauf que même pour Fast & Furious c'est beaucoup moins laborieux et forcé. Qu'est-ce que j'ai retenu de ce film ? Une poignée de scènes marrantes. Des gouttes d'eau dans le désert.