A l’instar de Téchiné, jamais compris ce qu’on pouvait trouver de passionnant dans le cinéma d’Honoré. Il y a parfois de beaux films (« Les temps qui changent » chez l’un, « La belle personne » chez l’autre, on doit pouvoir en trouver d’autres) mais rien qui marque durablement, tant les quelques jolis élans sont systématiquement compensés par des afféteries lourdingues d’auteur auto-couronné – Les chansons d’amour, bien qu’il faille que je le revoie, m’a gravé cette impression de charme et de grotesque mêlés plutôt embarrassants.


 C’est la toute première fois qu’Honoré m’embarque et m’émeut à ce point. Plaire, aimer et courir vite est un film brillant, foisonnant, protéiforme, construit autour de ce double (sinon triple) portrait de garçons mû par leurs désirs, cette urgence de plaire et d’aimer, sous fond d’épidémie de Sida puisque le récit se déroule en 1993. Honoré filme avec intensité les soubresauts amoureux. Et si le film est parcouru de citations littéraires, il n’est jamais écrasé pour autant.
C’est l’irruption d’In a different place, de Ride, qui d’abord m’a cueilli, moins par le fait de l’entendre (même si oui, Nowhere est l’un des plus beaux albums du monde à mes yeux, donc ça fait son effet) que dans l’utilisation qu’Honoré en fait : Un véhicule de sentiments, d’un garçon à l’autre, d’une chambre étudiante à la rue, de l’ennui au plaisir charnel. L’appartement est truffaldien et l’extérieur sera fassbinderien. Double influence qu’Honoré confirmera plus tard lorsqu’Arthur pose sa main sur la tombe de l’auteur de L’homme qui aimait les femmes, puis quand on découvre une affiche chez lui de Querelle. Ride ici, bientôt Cocteau Twins, Christophe Honoré a bon goût.
Voir ce film aujourd’hui, pile un an ou presque après 120 minutes par minute, lui donne une dimension nouvelle, tant il est aussi bien le parfait complément que son antithèse. La grande différence de fond c’est l’engagement, puisque contrairement au film de Campillo, les personnages chez Honoré ne sont pas engagés dans la lutte collective, seul leur importe le désir d’aimer et d’être aimé. Rien d’étonnant à y songer tout en s’y éloignant davantage encore lorsque Arthur annonce à Mathieu qui le transmettra à Jacques qu’il ira à une réunion d’Act Up entre deux expositions Beaubourg. Plaire, aimer et courir vite se situe à côté de 120 battements par minute, dans un même temps mais dans un autre monde, une autre circulation de désirs et cela se vérifie aussi d’un point de vue formel tant les deux films n’ont aucune ressemblance.
Cette légèreté (d’autant que le film est aussi très drôle) de la romance multiple (Mathieu et son danseur, Jacques et Jean-Marie, Nadine et Arthur) qui traverse les époques (Jacques et Mathieu, Marco et Jacques) débarrassées de la lutte se trouve vite compensés par une gravité permanente, forcément soutenu par la maladie, puisqu’on apprend rapidement que Marco (il a deux scènes, véritablement : l’une hors-champ, puisqu’il laisse un message téléphonique, l’autre dans une salle de bain et c’est absolument bouleversant) et Jacques sont tous deux touchés par le Sida. La gravité c’est aussi Louis dit Loulou qui la véhicule, ce garçon étonnant qui bientôt n’aura plus de père. La scène qu’ils ont en commun, lui et Arthur, l’ami de son père, directeur d’un centre scolaire, est magnifique, j’en chialais.
C’est un film qui sait rendre somptueux les à-côtés de son histoire d’amour centrale. En fait, il y a même très peu de moments où Jacques et Arthur sont réunis comparés à ce qu’on pouvait en attendre. Les plus belles séquences du film se situent peut-être même dans ces à-côtés. Une double scène de bain, l’une réelle et l’autre rêvée, toutes deux terrassantes, entre Jacques et Marco, épuisé puis déjà parti. Et puis j’aime énormément l’espace donné à la relation entre Arthur et Nadine, qui me rappelle ce qu’en faisait Luca Guadagnino dans Call me by your name, entre Thimothée Chalamet et Esther Garrel.
Globalement j’aime l’écriture du film, remarquable. La circulation d’un personnage à un autre. Qu’ils s’agissent de ceux qui apparaissent tardivement (la mère de Loulou, jouée par Sophie Letourneur) ou ceux qui sont là brièvement par intermittences (Denis Podalydès, le voisin) on sent qu’Honoré aime chacun d’entre eux, qu’il pourrait leur offrir dix fois plus de choses à dire et de temps pour le dire. Son film dure déjà 2h15 mais il pourrait facilement faire une heure supplémentaire, sitôt qu’il aura déployé un peu plus d’eux, qu’on l’aurait accepté.
Il faut aussi parler de la finesse des dialogues puisque c’est aussi sur les mots que se construit cette relation et l’on sent que c’est sur les mots que se sont construit les anciennes relations de Jacques – Parenthèse pour dire que c’est aussi pour cela que le film est puissant, c’est qu’il témoigne d’un présent où l’on se doit d’imaginer le passé qu’il transporte, les multiples vies que Jacques a traversé. J’aime entendre un ami d’Arthur réciter soudainement du Koltès, pour lui montrer qu’il a lu ce qu’il lui a conseillé. J’aime entendre Jacques dire à Mathieu, la veille de son départ, trouver qu’il a fait une super équipe avec Isabelle, la mère de son fils, sans pourtant avoir été un couple.
Honoré m’avait toujours semblé un peu trop coquet dans ses utilisations formelles héritées de la Nouvelle Vague. Ici il est plus discret. Et si son film est truffé de petites idées, à l’image de cette lettre qui s’imprime sur l’écran, de ces parenthèses musicales, de cette rencontre au cinéma (Au secours, sur le papier) ou de ces compositions de plans qui avant me sortaient de ces films plus qu’autre chose, aucune de ces idées ne vient briser le rythme ni l’identité du film. Son récit est plus fort. Sans doute parce que lui s’intéresse davantage aux personnages qu’il filme qu’à se regarder les filmer. Et puis sans doute car Honoré ne m’avait jamais semblé autant dans la confidence avec son spectateur, si honnête avec lui-même, si personnel dans chaque recoin de son film.
Et puis ce qui m’intriguait (plus que d’habitude, puisque je n’étais pas allé voir en salle un film d’Honoré depuis Les bien-aimés) c’était la réunion à l’écran de trois acteurs au parcours bien différents puisqu’on pourrait grossièrement dire que L’inconnu du lac se hissait à Liberté Oléron pour jouer Les beaux gosses. J’étais sceptique et en fait ça fonctionne. Super trio de comédiens. Complémentaires. Aucun des trois n’écrase les deux autres, pourtant c’était casse-gueule.
JanosValuska
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le 1 août 2018

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JanosValuska

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