Possession
7.2
Possession

Film de Andrzej Zulawski (1981)

Possession n’est pas un film agréable. Sorti en France in extremis après une production houleuse, le film se propose d’exploiter les méandres de la schizophrénie à travers l’histoire d’un couple s’entredéchirant autour d’une entité maléfique qui prend peu à peu possession d’eux.


Si l’histoire peut sembler classique (il ne s’agit au fond que d’une variation autour du thème déjà éculé dans les années 80 de la possession démoniaque), le film est pourtant loin de l’être, accouchant ainsi d’une œuvre monstrueuse qu’auraient enfantée Bergman et Friedkin, rien que ça. Car soyez prévenus, vous entrez ici en territoire inconnu : le film ne cesse de fonctionner par effets de rupture, de dissonances entre les différents registres et de discontinuité narrative. Les scènes s’entrechoquent les unes autres corps, le film ne devenant plus qu’un corps décharné dont les os ne seraient plus reliés les uns aux autres. C’est un film fiévreux au sein duquel la caméra ne cesse d’effectuer des mouvements de rotation dans des espaces clos comme pour mieux nous contaminer de la folie qui affecte les personnages. Une sensation d’ivresse permanente, mais pas cette ivresse joyeuse et désinhibée qui intervient après quelques verres, plutôt celle qui précède de quelques minutes le coma éthylique, cette ivresse au cours de laquelle la vision de la réalité ne devient plus qu’un concept abstrait parmi d’autres.
Comme dans toute ivresse, les personnages se dédoublent et les corps se vident. Car c’est bien le corps qui est au centre de tout, un corps jamais érotisé – en dépit de la plastique encore naturelle d’Isabelle Adjani –, mais malade, qu’on voit pourrir sur place et se répandre sur le plancher. On vous avait prévenu. Le film n’hésite pas à nous renvoyer à notre position de voyeur, comme si nous regardions ces images à travers le trou de la serrure, conscients qu’elles ne nous sont probablement pas destinées.
*Possession* propose également une lecture politique intéressante. Celui-ci se déroule entièrement à Berlin et plus exactement à la frontière même qui sépare les deux blocs. Une sorte de no mans land ou de purgatoire à l’intérieur duquel les cadavres de chiens s’accumulent, et les corps s’aliènent.
Si le film est, vous l’aurez compris, à ne pas voir en état postprandial, il souffre également par moment d’une écriture approximative et d’un jeu d’acteur hystérico-adjanien qui peut vite le faire sombrer dans sa propre caricature. *Possession* est un film profondément dérangeant qui fait son possible pour repousser le spectateur – et on hésite parfois à lui donner raison. Mais c’est pourtant bien ce qui fait sa force. À l’heure où les films d’horreur tentent non plus de dégouter, mais bien de séduire leur spectateur, *Possession* rappelle qu’il fut une époque où les films d’horreur n’étaient pas synonymes de programme matinal sur Gulli. Des films hideux, difformes, qui proposent d’emmener leur spectateur sur des montagnes russes desquelles il n’est pas sûr de pouvoir descendre. Si les sensations fortes et la gueule de bois qui les précèderont ne vous gênent pas, allez-y, ce film est pour vous. C’est sans danger. Ou presque.

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DeanMoriarty
6
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le 20 févr. 2016

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DeanMoriarty

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