De l’errance des personnages de l’Avventura dépourvus de tous repères moraux à l’insuccès de David Hemmings à la fin de Blow-up prisonnier entre la réalité et son interprétation, c’est bien la perte qui lie tous les films d’Antonioni. Profession : Reporter reprend ce sujet tout en dépouillant davantage son récit. En résumant à peine, nous pouvons dire que le film raconte l’histoire d’un homme perdu qui décide alors d’endosser l’identité d’un autre pour (paradoxe) créer du sens.
On remarque chez la plupart des cinéastes de la modernité, de Bresson à Antonioni en passant par Bergman ou Fellini le désir d’utiliser tous les procédés cinématographiques (photographie, montage, couleurs…) pour raconter une histoire de la manière la plus imagée qui soit. Ici, la forme crée le fond. Le dépouillement visuel du Condamné à mort s’est échappé est celui de son récit. Le titre pourrait faire office de parfait synopsis. D’une autre manière, la représentation de la souffrance n’aura jamais été aussi éloquente et poignante que dans Cris et Chuchotements avec ce simple gros plan sur le visage d’Harriet Andersson qui dit tout. Ce langage cinématographique participe de l’émotion, qu’elle soit esthétique ou dramatique.
Une scène en apparence anodine peut être une clé pour appréhender le film d’Antonioni. Seul au milieu du désert, David Locke (Nicholson) aperçoit au loin un autochtone qui s’approche dans sa direction. La caméra suit le personnage principal qui fait le tour de la voiture et s’attarde sur lui. Cut sur l’autochtone qui arrive à sa hauteur et l’ignore. Au-delà du rythme très lent et de la relativité de l’action, la scène joue surtout sur l’attente du spectateur et du personnage principal. Attente qui, du reste, ne sera jamais satisfaite. Le désir de tout rationaliser du spectateur n’est pas si différent de celui de Locke, à la recherche de réponse qui ne viendront jamais. Désir frustré pour l’un comme pour l’autre, mais la comparaison s’arrête là.
Dans l’absolu, le changement d’identité n’est pas si déraisonnable, il s’agit tout simplement d’une façon pour Locke de créer de l’ordre au milieu du chaos. Si rien ne marche en temps réel, pourquoi ne pas endosser une autre d’identité et simplement suivre son emploi du temps ?
N’épousant jamais le point de vue d’un personnage, la caméra n’est ni objective ni subjective. Elle transcende tout cadre spatio-temporel et embrasse d’un même geste passé et présent, vie et mort. La lenteur de chaque mouvement de caméra est comme un lent emprisonnement de son personnage principal ou un abandon, ce qui est ici la même chose. Antonioni a déclaré qu’on pouvait voir beaucoup de lui-même dans ce film et donc en David Locke. The Passenger ou celui qui se tient sur une brèche entre un passé stérile et un futur incertain. N’est-ce pas là une définition de l’homme moderne ?