Pourquoi écrire une critique de Prometheus cinq ans après sa sortie ? En fait, il s’agit plus ici d’analyser les réactions des spectateurs sur le long terme pour en tirer des conclusions sur le rapport qu’entretient le cinéma d’exploitation moderne avec son public. Mais bien sûr, cette démarche pompeuse sur le papier participe à caractériser le film et à fortiori à le défendre.


En effet, Prometheus est un film détesté. Pire, c'est un film lynché. Il suffit de se balader quelques secondes dans les commentaires de n’importe quelle publication Facebook concernant Alien Covenant pour tomber sur une remarque du type : « J’espère que ça sera mieux que Prometheus», remarque dont la pertinence sera récompensée par de nombreux Likes. Mais pas d’amalgames : toutes les critiques négatives à l’égard du bébé de Ridley Scott ne sont pas aussi vides de sens, et heureusement que la communauté SensCritique est là pour relever le niveau.


Cependant, il est intéressant de se pencher sur les arguments de ces détracteurs du dimanche. Ces arguments, ils tiennent en un mot : incohérences. Tout le monde en parle, des incohérences. Il y a même un célèbre vlogueur qui en a fait trois vidéos de vingt minutes chacune. Sur ce point, ils n'ont pas tort. Prometheus est parfois incohérent. Néanmoins, fonder sa perception du long-métrage sur ce reproche est totalement stupide, et ce pour trois raisons.


Premièrement, il s’agit d’un détail. Sérieusement, c’est se concentrer sur un point mineur et passer sous silence la quasi-totalité du film. La réflexion sur le rapport de l’homme à ses origines ? La mise en évidence du narcissisme sur lequel est fondé la théorie de l’évolution ? Les mécaniques scénaristiques et esthétiques du récit d’aventure transposées à la SF noire ? On s’en fout, Charlize Theron est pas capable de courir sur le côté.


Deuxièmement, on peut démonter n’importe quel film de cette façon. C’est bien connu, quand on veut cracher à la gueule d’une œuvre, il suffit de questionner sous forme de railleries ses faiblesses scénaristiques. Ça marche à tous les coups.


Enfin, le cinéma est une incohérence. L’hors-champ est incohérent, le montage est incohérent. Le réel n’est pas découpé et refabriqué sur Sony Vegas Pro. Tout n’est qu’artifice. Caractériser un film sur cette seule base est en soi absolument absurde. Vous souhaitez assister à une continuité logique parfaite ? Eh bien, il faut sortir jouer dehors plutôt que vous bousiller les yeux sur un écran, comme le disaient si bien nos mamans.


Une question en entraîne une autre : Pourquoi un tel mouvement populaire de haine ? Tous ces critiques en carton se sont soulevés en bloc, tous d’un coup, tel un mouvement de foule qui persiste après cinq années de violence. Une violence qui a poussé la Fox à virer le scénariste Damon Lindelof et à refaire basculer la licence vers les thématiques de chasse à l’homme qui triomphaient jusqu’ici.


Car la raison de l’échec populaire de Prometheus, la voici: Prometheus n'est pas Alien. Les gens voulaient Alien, ils voulaient avoir peur, ils voulaient des chestbursters et des facehuggers. Scott ne leur en a pas donné. La punition fut donc brutale, et ce faux prequel devint un bouc émissaire. La fronde a alors porté ses fruits: la Fox et Scott lui-même se sont vus forcés de revoir l'orientation de la saga.


Ici réside le réel nœud du problème. Le cinéma populaire semble s'être décidé à suivre à la lettre les instructions de son public. Les producteurs donnent aux gens ce qu'ils veulent et non ce dont ils ont besoin. C'est le résultat de l'émergence des communautés de fans (dont l'auteur de ces lignes fait partie), qui parviennent aujourd'hui à exercer une véritable pression sur l'industrie. C'est un lobby total, un lobby paradoxal et finalement un lobby mercantile. Les fans (un terme à la mode) sont devenus les cœurs de cible et c'est eux qui font la pluie et le beau temps à Hollywood. Mais ce qu'ils ne réalisent pas, c'est que les univers qu'ils adulent ont été créés sans leur aide. Néanmoins, ils prennent désormais la place des réalisateurs, alors dépossédés de leurs œuvres. Mais ne soyons pas dupes: il n'y a rien d'artistique dans le fait de réclamer et de recevoir.


Par exemple, les films Marvel Studio connaissent le succès grâce à une certaine platitude quémandée par leurs "fans" (les guillemets sont nécessaires). C'est la raison du renvoi d'Edgar Wright sur Ant-man. Sa personnalité aurait probablement sauvé le film de la soupe insipide sortie en salle. Mais non, trop d'audace aurait également froissé cette fausse communauté droguée aux gimmicks éculés.


Au contraire, en 2015, George Miller a arraché Mad Max des mains de la populace. Personne n'a demandé Fury Road. Pourtant, il est là, révolutionnant au passage les codes du cinéma d'action.


Que veut-on pour Alien ? Souhaite-t-on vraiment gommer la patte artistique de papy Scott, qu'on l'apprécie ou non ? Récemment, la bande-annonce d'Alien Covenant a déclenché une vague de protestations. "Ça ressemble à un énième Alien" entend-on ci et là. Mais soyons clairs: c'est nous qui l'avons voulu, nous les cinéphiles en furie prônant la destitution des artistes. Nous sommes ceux qui appuient la dictature du prolétariat pour instaurer une dictature. Nous sommes des monstres.

Jabo
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le 2 févr. 2017

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