« Pulp » : feuilleton ou roman grand-guignolesque.

« Fiction » : fait créé à partir de son imagination.

Pulp Fiction est le feuilleton de gangsters du dimanche, de braqueurs véreux, et de boxeur sur le tard. Tous vont se croiser pour créer un ensemble haut en couleur, un fait créé par l'imagination d'un surdoué de cinéma. En 1994, Clint Eastwood remet la Palme d'Or à Quentin Tarantino pour un objet cinématographique que beaucoup classe parmi les plus grands de ces vingt dernières années.

Tout au long de sa carrière, Tarantino nous a montré qu'il savait faire beaucoup de choses. Film de gangsters, blaxploitation, série B, western, film de guerre ou d'arts martiaux, ce grand enfant s'est confronté à nombre de genres. Avec Pulp Fiction, il sait présenter des personnages importants en les filmant spécifiquement, afin de rendre notre attente maximale (Mia avec ses lèvres, Marsellus constamment de dos, Willis en plan long de plus en plus rapproché). Il sait également attirer notre œil avec des scènes filmées principalement en plan de détail. L'héroïne dans ce film, ou la bière dans Django Unchained. Il sait aussi nous émerveiller en tournant avec des mouvements légers et délicats. Il sait nous angoisser en suivant Willis avec une caméra à l'épaule qui ne coupe pas, dans le but de suivre un parcours s'annonçant chaotique. Il sait tout simplement filmer en utilisant la profondeur de champs à bon escient, et en nous faisant apprécier l'intégralité du cadre (scène où la crampe se réveille...).

Le plaisir de raconter des histoires est l'un des multiples points forts du cinéaste. À l'intérieur d'une narration déjà très riche, l'homme pond des récits jubilatoires, comme l'aventure de la montre de Butch. Il nous offre un scénario maîtrisé jusqu'au-boutiste avec des duos qui se rencontrent puis se retrouvent plus tard pour qu'une vengeance ait lieu (Willis sur Travolta, Willis sur Wallace). Nous prenant constamment à contre-pied d'un film qu'on aurait pu croire prévisible, Tarantino ne nous montre pas les choses qui devraient être essentielles au récit, comme le match de boxe ou le contenu de la mallette (idem pour Reservoir Dogs avec le braquage). Il nous fait rêver et nous emmène aussi dans des cauchemars bien réels (chute de Butch), devenant progressivement des sortes de fantasmes. Malgré ce goût affiché pour la violence, cet artiste conserve une grande pudeur. Dans la scène cultissime du Jack Rabbit Slim's, Travolta et Thurman ne se touchent pas, et ils se serreront la main juste pour sceller un pacte. L'américain préfère le mythique au physique, le profond à l'artificiel. L'art tarantinien, c'est cela : le Bien et le Mal s'affrontant sans cesse.

Pulp Fiction se déguste comme un menu. L'entrée serait la préparation du braquage d'Honneybunny et Pumpkin, mais aussi les débuts du duo Jules/Vincent. Tarantino nous met tranquillement dans une ambiance à part, où le spectateur s'habitue à des dialogues singuliers allant à la vitesse d'une mitraillette. Le plat principal nous fait entrer dans le vif du sujet. Thurman fait une overdose, Willis double son patron et tue son adversaire. L'ambiance est donnée, et le stress s'ajoute à un récit aussi jouissif que travaillé. Le dessert enfin détend l'atmosphère. Quand l'humour noir s'invite au ton décalé de Tarantino, cela donne une grande maladresse de Travolta et une scène de hold-up virant au vinaigre. La cuisine de cet enfant terrible du cinéma est parfois crue, parfois épicée, mais tous les mélanges qu'il opère donnent à l'ensemble quelque chose de succulent et parfaitement harmonieux. La preuve puisque presque vingt ans après ce coup de maître, le spectateur se lèche toujours autant les babines.
Hugo_Harnois_Kr
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le 9 févr. 2014

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Hugo Harnois

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