Ce Quatre mouches de velours gris est un film très particulier dans la filmographie de Dario Argento. Non seulement il clôt sa trilogie animalière réalisée sur à peine 2 ans (L’oiseau au plumage de cristal date de 1970 et Le chat à neuf queues tout comme Quatre mouches de velours gris de 1971) mais il est aussi considéré comme le film le plus personnel du réalisateur. En effet, lors de la mise en chantier du projet, Argento vient de se séparer de sa femme, s’engueule avec son distributeur et se retrouve poussé par son papa producteur pour continuer sur la lignée des gialli qui ont fait son succès. Se lançant sans scénario, il réussit pourtant à réaliser un thriller bourré d’inventions visuelles et traitant de manière sous-jacente des relations de couples.

La trame de départ du film est simple, basée sur le concept du whodunit (découvrir qui est le vilain grâce aux indices disséminés dans le film), mettant en scène Roberto, batteur professionnel dans un groupe de rock, tuant par accident un inconnu. Pris en photo lors des faits, il doit faire face à maître chanteur particulièrement retord, bien décidé à le harceler jusqu’à la folie.

Si le scénario est en effet moins construit que dans ses deux précédents opus, on sent que ce n’est pas l’intrigue qui intéresse Argento ici. Il préfère disséquer la paranoïa de Roberto, celui-ci se trouvant persécuté à la fois par l’homme qui l’a vu et par sa femme qui le délaisse. Ce personnage principal prend presque la forme d’un double du réalisateur, tout autant brillant qu’odieux, et surtout incapable de gérer sa vie intime, assailli par ses propres démons. C’est une des rares fois dans la filmographie d’Argento où l’on trouvera une direction d’acteur aussi juste, celui-ci semblant avoir apporté un soin tout particulier à l’écriture de ses personnages. Par ailleurs, le casting est excellent, du jeune premier américain Michael Brandon en passant par le détective homosexuel incarné par Jean-Pierre Marielle ou par le meilleur ami de Roberto que Bud Spencer joue avec sa bonhommie habituelle.

D’un point de vue formel, Quatre mouches de velours gris est un foisonnement incessant d’idées. Argento met de côté la mise en scène de l’architecture extérieure – une de ses marques de fabrique – pour se concentrer essentiellement sur les lieux clos et l’oppression qu’ils engendrent. Et même lorsqu’on se retrouve dans un parc, les arbres semblent se resserrer autour d’une victime qui finit par se faire prendre au piège d’un corridor végétal. Chaque élément du décor cache donc un possible danger, le réalisateur utilisant une alternance de travellings impressionnants et de gros plans pour le mettre en exergue. A noter également l’emploi d’une caméra expérimentale rendant les ralentis dans le moindre détail. Ne se contentant pas d’être un simple joujou, celle-ci permet de réaliser la scène finale du film, un accident de voiture, vrai morceau de poésie morbide.

Car les effets du maestro ne sont jamais gratuits. Ils rendent de manière quasi tangible la persécution dont sont victimes Roberto et son entourage, alors que l’étau du maître chanteur se resserre. Au-delà de ça, ils sont autant de signes précurseurs des futures délires psychédéliques du réal italien, annonçant son virage vers la réalisation horrifique (Suspiria, Inferno, etc.). En parlant de signes avant-coureur, on ne peut évoquer Quatre mouches de velours gris sans parler de sa magistrale bande originale. Avant-dernière collaboration entre Argento et Morricone, le compositeur a créé des musiques essentiellement à l’aide percussions, dont la rythmique folle annonce l’arrivée très prochaine et l’influence considérable qu’auront les Goblin sur la suite de la carrière du réalisateur.

Quatre mouches de velours gris est donc clairement une œuvre majeure dans la filmographie d’Argento, un de ses films les plus sensibles, où s’affirme son goût pour la théâtralité et l’envie de dépasser les codes classiques du gialli pour se focaliser sur le rendu visuel des angoisses saisissant ses protagonistes.
Miho
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le 2 janv. 2013

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