En guise de conclusion à son interview figurant en bonus de l'édition Potemkine de l'oeuvre en Blu Ray, Nicolas Boukhrief indique sobrement que Requiem pour un Massacre n'est pas un film qui aide à vivre.


Pour le moins, Elem Klimov livrant en guise de dernier opus une odyssée sans retour et sans fin au coeur de l'abominable de la seconde guerre mondiale.


Le choix de l'enfant comme témoin, pourtant classique, lui donne cependant encore plus de souffle, permettant de s'identifier et d'épouser sa sidération, son innocence violée et piétinée, sa lente chute intérieure.


Sa fuite en avant.


Au cours de laquelle Elem Klimov montre à l'écran et suggère à la fois les pires horreurs, les pires traumatismes, avant de coller aux basques de Florya dans sa course éperdue.


Le spectateur perd pied en même temps que lui, à mesure qu'un étrange onirisme, fait de lumière naturelle déclinante et d'effets sonores retravaillés, prenne possession du film. Mêlant les instants de grâce, d'élégie, et les images les plus magnifiques, avec Glasha dans la forêt, aux hallucinations d'une violence inouïe et folle. Si la réalité s'impose dans toute son horreur, décuplée par l'adoption d'une caméra à hauteur d'enfant, Requiem pour un Massacre la parasite cependant du ressenti purement hallucinatoire, comme dilaté, de son personnage principal, témoin impuissant de la tourmente de l'histoire qui l'emporte et le fait grandir bien trop vite.


Ses traumatismes finiront par devenir les nôtres, glaçants, tutoyant l'indicible, terrifiants, nous plongeant dans une sorte de suspension hypnotique toute aussi incrédule que mortifère. Dans un no man's land dénué de boussole, sauf celle du coeur de Florya qui se débat. Comme il se débat lui-même pour ne pas sombrer dans ce marécage en forme de piège suffocant qui l'aspire. Tandis qu'il devient évident que nulle rédemption ne sera possible.


Si l'aspect documentaire s'impose, braconnant par fois du côté de la propagande, si le film emprunte parfois la voie de l'imagerie rituelle, si des instants de nazisploitation ou de jeu un peu outré prennent parfois possession de l'écran, rien ne saurait cependant effacer le malaise, le nihilisme et l'intense sentiment de vécu éprouvé à la vision de Requiem pour un Massacre. Pas même ses longs plans de steady cam guidés par l'urgence de la survie, tant physique que psychique. Jusqu'à ce feu et ces cris, jusqu'à cet enfant que l'on jette littéralement par la fenêtre d'une grange. Jusqu'à cette justice expéditive et ce simulacre de procès.


Eprouvant dans son "devoir de regard", Requiem pour un Massacre l'est, à l'évidence. Mais avant tout, le film s'impose comme une expérience des ténèbres, de l'horreur viscérale et âpre, qui a aujourd'hui accédé au statut de sommet de l'art cinématographique. Alors même que lors de sa sortie confidentielle, le film est passé sous le radar d'une critique ayant failli, dans les grandes largeurs, à faire découvrir, à promouvoir, à mettre en avant. Hormis les trublions de Starfix.


Il sera aussi curieux de constater que cette aura de grand classique, de monument indépassable, aura tué dans l'oeuf toute tentative de polémique morale quant au réalisme frontal, à la représentation de la violence, de la déférence à la grande histoire et de la virtuosité formelle déployée par Elem Klimov.


Preuve que l' "abjection" cède facilement devant la réputation. Preuve que l' "abjection" parfois décrite avec complaisance existe surtout, aujourd'hui encore, dans le seul oeil de ceux qui voudraient plier certaines oeuvres à leur petite éthique personnelle, à leur jansénisme culturel étriqué, au même titre que leur propre vision du média cinéma.


Behind_the_Mask, vas, vis et deviens.

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le 30 déc. 2020

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