Quand Disney a racheté Lucasfilm, tout le monde prédisait la mort définitive de la saga « Star Wars » et de son univers au profit d’un complexe marketing savamment dosé pour essorer le potentiel vendeur de la franchise, qui avait déjà commencé pour certains avec l’épisode VI et son armée de nounours en peluche. D’autant que sa démarche avec la plupart des films Marvel (dont la dernière exception est « Les Gardiens de la Galaxie ») prend largement cette tournure. Néanmoins le choix des réalisateurs et la consistance de l’épisode VII qui, malgré un mimétisme narratif avec l’épisode IV, parvenait à trouver sa propre voie, m’ont rassuré pour la suite. Il restait tout de même à prouver que les épisodes spin-off dont « Rogue One » est le premier représentant ne sont pas de simples amuse-gueules sans ambition ni personnalité.


Avec Gareth Edwards à la réalisation, on pouvait s’attendre à autre chose que le brouet hollywoodien habituel : car si son « Godzilla » de 2014 est une sacrée déception, il avait tout de même démontré des intentions de mise en scène singulières. D’autant plus qu’il se voit ici dépêtré du fardeau de redémarrer un récit qui n’avait pas besoin a priori d’être continué : là était toute l’ambiguïté du projet de la troisième trilogie. En racontant sous forme de prequel à l’épisode IV la recherche des plans de l’étoile Noire par un groupe de rebelles, Edwards a finalement pour seule contrainte de respecter la chronologie et les codes de l’univers de la saga. Pour le reste, les nouveaux personnages et enjeux qu’il développe lui appartiennent à lui seul (enfin aussi à son producteur, mais passons), il peut ainsi se mouvoir plus facilement au milieu du champ d’astéroïdes que représente l’univers Star Wars.


Les références à la trilogie originale se voient donc plus discrète que dans l’épisode VII, voire facétieuse lorsque l’un des personnages se voit interrompu par l’agacement d’un autre alors qu’il récitait l’une des éternelles formules de la saga : « I have a bad feeling about this ». Pour le reste, il s’agit de raccorder les lieux et les enjeux avec ceux du début de l’épisode IV, mais surtout de s’en démarquer pour une unité filmique consistante. De ce point de vue, Edwards nous propose une vision de la rébellion contre l’Empire beaucoup moins monolithique que dans les autres épisodes : Jyn Erso, le protagoniste principal du métrage qui compte pourtant parmi les victimes de l’Empire, est un électron libre de la dualité en le Bien et le Mal, et se veut bien plus lucide que son associé qui tue aveuglément au service de la rébellion.


La réflexion sur la croyance qui s’en dégage est salvatrice, car elle nuance l’esprit de la saga sans trahison : l’archétype du jeune apolitique et désillusionné que représente Jyn ne puise pas sa force du même tonneau que les autres. Consciente des limites du militantisme armé, elle ne le rejoint pas parce qu’elle n’a « plus rien à perdre » ou par esprit de vengeance mais par affect familial (pour son père sublimement interprété par Mads Mikkelsen, la plus surprenante gourmandise cinéphile du film) et par humanisme. La réhabilitation de l’ardeur sacrificielle lors du dernier acte du film est ainsi on ne peut plus d’actualité. Alors que ce souffle est aujourd’hui monopolisé par des barbus à kalachnikov, le cri de guerre sur lequel repose la dramaturgie du film est retentissant : « Rebellions are built on hope ».


Une telle ingénieuse démonstration se fait sans conteste au prix d’un rythme trop hâtif et d’une réalisation moins marquante, aussi bien dans la bande-son que dans la mise en scène, là où l’épisode VII ménageait des moments de pure contemplation contrebalancés par une virtuosité de mouvement filmique ébouriffante. L’exercice du « one-shot » bride aussi le film dans ses moments de drame fataliste qui, à l’image des nombreuses pistes narratives et détours artificiels, sont trop systématiques pour ne pas nuire à l’impact émotionnel sur le spectateur. Qu’à cela ne tienne, la conclusion sublime les intentions initiales en faisant resurgir le côté obscur dans une scène mémorable, immédiatement mis en échec par un passage de relais qui rapporte symboliquement et de manière très émouvante le film à l’universalité du langage cinématographique de « Star Wars ».


Ma critique de "Star Wars IV" : http://www.senscritique.com/film/La_Guerre_des_Etoiles/critique/37479528


Ma critique de "Star Wars VII" :
http://www.senscritique.com/film/Star_Wars_Le_Reveil_de_la_Force/critique/38673271

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le 29 déc. 2016

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Marius Jouanny

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