Rois & Reine par Ripailloux
J'avais vu il y a de cela un an ou deux "Un conte de Noël", du même Arnaud Desplechin, et le film m'avait laissé un sentiment bizarre. Une profonde amertume sur la vie, sur la famille, sur l'humain. Depleschin ne me semble jamais dépeindre des vies banales, et surtout pas des vies heureuses. Au contraire, il est pour moi un terrible fataliste de l'humanité... Rois & reine, sorti en 2004, n'est pourtant que ma seconde expérience avec le réalisateur... Mais je pense pourtant le comprendre...
Rois & reine prend place donc autour de deux personnages, Nora et Ismaël... Les deux personnages sont joués par deux acteurs d'exceptions, qui sont également des habitués de Desplechin, Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric. Déjà, ça claque. Sans vraiment s'étendre sur le scénario, l'histoire est assez simple finalement, peu de rebondissements, peu de grands bouleversements... Et pourtant.
Si ce film m'a tant plu, c'est surtout pour son ambiance. En effet, Depleschin a réussi à installer une tension de tous les instants, un espèce de côté presque glauque, du genre, pas amusant, très amer. La photographie est assez sombre dans l'ensemble, ou en tout cas stagne du côté du blanc/gris. Les décors n'y aident en même temps pas beaucoup... Un hôpital psychiatrique, un appartement en plein Grenoble, ville tourmentée par des orages... Il n y a qu'à très peu de reprises que la couleur revient réellement et s'installe dans l'objectif de la caméra (le flashback en pleine campagne...).
Cette photographie, alliée à une bande son d'exception (une de mes préférées), installe donc un réel sentiment ambigu. Même la simple musique légèrement jazz, qu'on entend dès la première scène, et qui pourrait paraître une balade très légère, devient d'une étonnante lourdeur et d'une grande inquiétude à l'intérieur de ce film...
Justement, cette première scène, nous montre déjà à quel point la mise en scène de Depleschin va être grandiose. Les faux raccords sont splendides (on sent ici toute l'influence de la nouvelle vague), installent eux aussi cette instabilité, cette tension de tous les instants. On les retrouve principalement lorsque la caméra s'intéresse à Nora.
D'autres moments sont des instants d'exception. Le "flashback" entre Nora et Pierre, vers le milieu du film, est une des scènes les plus grandioses qu'il m'ai été donné de voir... La musique, si splendide, accompagne une scène théâtralisée à l'extrême, aux dialogues écrits au millimètre, dans laquelle les deux personnages surjouent, à un point exceptionnel. Ce n'est pas un défaut, non, c'est une qualité. Et surtout, les décors, qui disparaissent partiellement. Le couloir dans lequel on ne voit que la fenêtre, ces bouts d'appartement, et le reste, noir, comme le film... D'un noir terrible.
Nous pourrions encore en mentionner d'autres, comme la première scène entre Mathieu Amalric et Catherine Deneuve, ou encore les mots du père de Nora, représentés d'une façon géniale... Et la brûlure qui apparaît ensuite...
Bref, la mise en scène est juste parfaite.
Et ce film alors, d'une noirceur terrible, qu'est ce qu'il nous évoque ? Pas tant de choses finalement... Les personnages semblent loin de nous, ils sont soit considérés comme fous (et ont en effet un comportement douteux, je ne confierai pas mon enfant à Amalric), soit d'un égoïsme et d'une froideur effrayante (Nora, qui a droit à un chapitre entier sur elle...)... Il y a en permanence, et comme dans Un conte de Noël d'ailleurs, une ambiguïté ambiante... L'enfant de Nora est un exemple parfait, il entretient avec sa mère une relation profonde, tendue et presque œdipienne parfois... Nora, qui est toujours dans un jeu de séduction avec Ismaël, qui lui même séduit une ou deux filles de l'hôpital... Se perd dans ses sentiments.
Il n y a pas de situations ou de sentiments faciles dans les films de Depleschin, et c'est aussi ce qui donne cette force à ses réalisations... Rien n'est manichéen, rien n'est ultra lisible, tout est perfectible, comme nos propres vies. Et même si on ne tue pas deux personnes dans notre vie, ou qu'on ne se fait jamais internet dans un hôpital psychiatrique, on reste sensible à tous ces personnages qui eux aussi vivent des crises d'identité, qui tombent dans le piège de la passion, ...
Rois & reine est un petit bijou, sensible, presque effrayant... 2h20 splendides... Merci Depleschin, et je vais m'empresser de regarder le reste de sa filmographie.