Pas le temps niaiser pour le réalisateur de « La Cabane Dans Les Bois », le scénariste de « Cloverfield », « World War Z » et « Seul Sur Mars », ainsi que le créateur et showrunner de la série Daredevil. Drew Goddard porte un éventail d’œuvres populaires à son actif, mais parvient également à puiser dans la subtilité lorsqu’il s’agit d’écriture. Ici, le résultat est différent de ce qu’on pourrait attendre de lui, car il s’agit d’un film qui joue sur la perception du spectateur. Mais à défaut, s’il n’y a pas affinité, ce dernier trouvera un divertissement moyen, succédant les influences du genre policier ou drame, qui illustre cette Amérique profonde, scindée en deux, à l’image de l’hôtel El Royale, là où les vices rattrapent toutes ces générations qui cherchent encore le rêve américain.


Pour le coup, nous passerons à côté de l’originalité dans cette œuvre qui emprunte énormément la photographie d’auteurs qui ont déjà imposé leur style. Cependant, celle-ci sert bien le propos et permet une lecture dynamique. Il en va de même pour les dialogues qui prennent de la longueur, tout en laissant les stéréotypes s’exprimer d’eux-mêmes, dans une bataille de secrets à tout-va. L’ouverture noue ainsi avec tout un mystère pictural, comme si chaque chambre de l’hôtel reflète l’état d’esprit de son ou ses occupants. Et c’est sur le pseudo-mystère que Goddard construit son récit et ses péripéties qui s’entremêlent avec la plus grande des coïncidences. Si on arrive toutefois à accepter ce parti-pris, il nous sera possible d’accéder au cœur du débat, qui met en scène des caricatures dans un environnement où les vices et la justice ne peuvent coexister. La Californie orne ce symbole hollywoodien, où les rêves y trônent. À l’opposé, le Nevada, terre des jeux d’argent, des cœurs et des vies brisées, constitue la chute des mythes et des fantasmes. Et au centre, le chaos le plus total, qui en oublie les contraintes et les objectifs. Cette zone est intemporelle et laissera place au dénouement qui est façonné avec amertume.


C’est donc dans un huis-clos que se joue la destinée d’êtres égarés dans l’antre, style sixties où les néons et le support de motel viennent nous rappeler à l’ordre. Il n’y a plus de place pour l’obsession du rêve, ce concept est mort en même temps que ces années qui ont permis à beaucoup de se découvrir et à se détruire par la suite. Les personnages ici, sont nombreux mais tous identifiables. Du plus discret au plus bavard, les comédiens sont réduits à satisfaire un faible cahier des charges, quitte à y laisser la performance derrière. Ceux-ci possèdent un arsenal d’honneur dans leur éthique et n’hésiteront pas à s’en servir pour faire rebondir l’intrigue. Mais dans ce piège perdu pour politiciens, il n’est pas nécessaire de soulever les faiblesses du casting, qui aura plusieurs raisons de faire mieux que ce qui nous est présenté et on y croit fortement.


« Sale temps à l'hôtel El Royale » nous invite ainsi à faire nos jeux, à prendre un pari sur ces personnages, dont le destin prévisible tient des enjeux secondaires plus intéressants. Si on identifie chacun d’entre eux à une allégorie ou une métaphore, il y a matière à en sortir victorieux de ce motel dépourvu d’originalité dans la forme. Ce sera au forceps de la matière grise qu’on saura briser les secrets afin de laisser mûrir la galerie de monstres que tout oppose. Les frontières s’écroulent pour que les interactions les plus loufoques et les plus sanglants puissent appréhender l’humour noir qui reste souvent en retrait, mais qui fera du bien aux cinéphiles les plus déterminés à remonter à la source de cette œuvre cynique.

Cinememories
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le 16 juil. 2022

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