Le titre original "Bombshell" est moins insipide que ce "Scandale" très France-Dimanche : il désigne à la fois une fille canon, une bombe, et un scoop !
Sinon, un très bon film ! - je ne m'y attendais pas, tant Hollywood est prompt à saisir les sujets polémiques au sommet du rebond et dans la ligne de mire des Oscars.
J'ai retrouvé le rythme au couteau, l'effervescence et la gravité de l'excellent "Pentagon Papers" de Spielberg, la bombe étant cette fois placée au coeur du media télévisuel.
Le scandale, c'est celui révélé en 2016 : le président de la Fox News, Roger Ailes, était publiquement accusé de harcèlement sexuel par ses journalistes vedettes. Le "La" de l'affaire Weinstein. Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie sont toutes les trois remarquables : elles figurent trois âges de la femme, trois moments de la courte vie d'une star du reportage télévisuel sur une chaîne qui est une puissante institution aux Etats-Unis. Le personnage de Margot Robbie le dit bien : "Mes parents regardent Fox News comme la messe". La scène où les trois actrices se retrouvent côte à côte dans l'ascenseur privé qui conduit au saint bureau de Roger Ailes, l'homme qui fait et défait les carrières, est à ce titre une belle trouvaille visuelle.
Le film montre, dans un découpage acéré, la chute de cet intouchable par la libération de la parole féminine, premiers aveux publics d'une longue série, et premiers signes d'un changement majeur à l'oeuvre dans les mentalités de nos sociétés du capitalisme numérique.
Contrairement à des critiques que je trouve sévères, j'ai été sensible au fait que le film évite l'écueil de la victimisation angélique "gantée de vertu" et de la prédation diabolique. Le scénario et le point de vue - celui des femmes- sont plus subtils et tentent d'explorer la complexité du problème : à l'ère de Trump et de sa misogynie tweeteuse, on vit la fissuration explosive d'un système de management patriarcal dans lequel les relations hommes-femmes sont moins tranchées qu'il y paraît, prises qu'elles sont entre l'intérêt personnel, la peur de la mise au ban, la curée. Roger Ailes a bien, au coeur de la tourmente, son fan club de pom-pom girls.
Le film pose toute la question de l'outing performatif et des limites du tribunal médiatique, à l'heure où la toute-puissance immédiate de l'acte de langage qui consiste à tuer par la parole publique celui qui vous a nui risque de court-circuiter certains principes du droit. Evidemment, on a tous envie que Ailes tombe ! Mais tout ce jeu du "perd ou gagne" sur la corde est très bien rendu par la finesse de Charlize Theron.
Mention spéciale pour Margot Robbie qui éclot littéralement devant la caméra, autant dans son personnage de jeune ambitieuse naïve que comme actrice. Tarantino aimait ses pieds, Roger Ailes, libidineux, a une nette préférence pour les jambes de son personnage. La scène d'entretien d'embauche très privé, où il lui demande de retrousser sa robe pour son plaisir, est aussi glaçante qu'anthologique.
Je n'ai rien compris en revanche à la polémique qui a suivi la sortie du film en salle sur les dérives de la chirurgie esthétique chez les actrices hollywoodiennes : à côté de la plaque ! Les actrices - deux au moins - portent des prothèses pour incarner le stéréotype imposé à celles qui font la messe à l'écran. Si effectivement Kidman et Theron ont pu avoir recours à la chirurgie, c'est leur seul choix, qui n'enlève rien à leur talent. Le naturel à tout prix, cette autre dictature de l'apparence...enfin, bref...
Ce qui m'a surtout frappée, pour revenir au film, c'est l'évidente référence à Alfred Hitchcock et son légendaire fétichisme des jambes. John Lithgow, qui incarne Roger Ailes, lui ressemble beaucoup dans son costume trois-pièces. Quant à Nicole, Charlize et Robbie, il est difficile de ne pas voir en elles une Kim Novak, une Tippi Hedren et une Grace Kelly, égéries blondes et modelées selon le goût d'un réalisateur tout-puissant. On était dans une autre époque...

Sabine_Kotzu
8
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le 5 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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