Après avoir vu un "Maps to the stars" flapi, mou de la mise en scène, une sourde colère a fini par éclater ouvertement : il me fallait revoir un bon Cronenberg! Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu "Scanners", la revoyure tombe à propos pour faire œuvre de baume réparateur. Oui, voilà! Voilà ce que c'est qu'un bon film de Cronenberg : bien écrit, malin, doté d'une mise en scène efficace, sûre et d'une histoire génératrice de fantasmes, de rêves et d'effroi! Voilà un film qui crée de l'émotion !

Évacuons d'entrée la part des comédiens car je n'ai pas souvenir que la direction d'acteurs de Cronenberg ait jamais posé problème. Même dans "Maps to the stars", les comédiens sont irréprochables. Ici le réalisateur compte sur deux monstres.

Michael Ironside trouve avec ce film l'un de ses plus emblématiques (avec "Total recall"). Il est boursouflé de convulsions nées de la colère, de la folie et bien entendu de l'imagination de Cronenberg. Son visage peut faire un mixe entre violence et grotesque. Ils sont rares à être aussi souples là-dessus. Comme une gargouille de cathédrale, il est gardien et incarnation du mal viscéral. Aussi mobile et froid que le visage de Jack Nicholson, le sien est le support idéal pour jouer cet ange noir né d'une science très expérimentale.

L'apprenti sorcier est joué par un Patrick McGoohan formidable d'autorité et de mystères. Sous ses lunettes et sa grande barbe poivre et sel, c'est Freud et Frankenstein qui sont réunis. Le port altier, le phrasé impeccable, le comédien britannique impose sa classe folle et donne au film une saveur particulièrement riche, qui s'accommode parfaitement de la teinte sombre de la photo.

C'est me semble-t-il une caractéristique commune aux premiers films de Cronenberg. On retrouve cette même photo glacée et sombre sur "Chromosome 3" par exemple. Une image où la lumière peine à éclairer les rouges, les bleus et les verts. C'est le noir et le rouge qui s'imposent davantage, du moins encore une fois est-ce mon impression. Peut-être une vue de l'esprit? En tout cas, là où "Maps to the stars" semble visuellement fade, couleurs et lumières étouffées, "Scanners" percute l'œil, la photo dit le mal-être des personnages, dans leurs têtes comme dans leurs corps.

Mais la très grosse différence qui m'impressionne le plus, c'est la qualité du scénario et sa projection à l'écran via la mise en scène. Alors que "Maps to the stars" reste figé, sans passion communicative, parfois flou dans ses intentions, comme perdu sans GPS, "Scanners" sait clairement où mener son spectateur. Lequel a le sentiment d'être dirigé, d'avoir face à lui un film pensé, construit vers un ou des objectifs pré-choisis. Ce n'est pas un film parfait de bout en bout, mais il reste d'une fluidité très agréable. Lisibilité qui n'annihile pas les effets de surprise de l'histoire.

Quoiqu'il en soit, on est pris par "Scanners" alors que j'attends encore de l'être par "Maps to the stars". Je sais que c'est un peu injuste de parler d'un film tout en persistant à le comparer à un autre, mais je suis sans doute trop déçu et irrité par le dernier Cronenberg, frustration qui ne fait que s'accroître avec le temps, pour pouvoir échapper à cette colère.

Pour ne pas finir avec cet esprit négatif qui me pollue la critique, un petit mot sur la belle Jennifer O'Neill dont la présence un peu effacée est néanmoins charmante. Elle n'a pas de peine à survivre au charisme de Stephen Lack, qui porte bien son patronyme tant il manque d'aura, le pauvre.

Retenons que "Scanners" est un très bon film, un thriller d'anticipation, entre science-fiction et fantastique, riche en possibles, en réflexions plus ou moins d'ordre fantasmatique. La télépathie est en effet un sujet qui peut exploiter les peurs et les espoirs d'un grand nombre de personnes dont l'imagination peut se révéler galopante. C'est le propre des bonnes créations de S-F ou de fantastique que de caresser l'imaginaire dans le sens du poil. "Scanners" le fait avec une grande aisance.
Alligator
8
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le 31 déc. 2012

Modifiée

le 15 juil. 2014

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Alligator

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