C'est un peu la malédiction des grandes fresques historiques. A moins d'être Eisenstein, on a beau être le plus talentueux des réalisateurs, on se laisse un peu écraser par le poids du sujet.


Senso, c'est l'histoire d'une femme qui perd tout (honneur, dignité) pour un homme qui n'en vaut pas la peine.


Venise, 1866, à la veille de la guerre austro-prussienne. Lors d'une représentation du Trovatore de Verdi, des quolibets anti-autrichiens fusent, et Ussoni, un jeune activiste bouillant, giffle et provoque en duel Frantz Mahler, jeune officier autrichien très viril. Livia, comtesse et cousin du jeune Ussoni, approche Mahler pour lui dire de refuser le duel. Celui-ci est annulé car Ussoni est arrêté. Mais la comtesse, pourtant patriote, tombe violemment éprise de l'officier ennemi. Lorsqu'il disparaît, elle oublie sa fierté pour le chercher dans sa caserne, encaissant des lazzi des soldats.


La guerre éclate, et le comte, un mari et terne riche qui collabore avec l'occupant, décide de se retirer sur ses terres à Aldeno. La comtesse l'y suit, avec la cagnotte patriote qu'Ussoni lui a confiée. Un soir, un inconnu cogne sa fenêtre : c'est Frantz, dont elle retombe amoureuse, qu'elle cache pendant plusieurs jours, et à qui elle finit par confier la cagnotte d'Ussoni, afin qu'il paie un médecin pour se faire réformer. Les Garibaldiens remportent des victoires, menaçant Vérone, où Frantz s'est réfugié, demandant cependant à Livia de ne pas l'y rejoindre. Folle de passion, elle pénètre cependant dans la ville où se fixe la poche de résistance autrichienne, et retrouve Frantz. Celui-ci révèle ce qu'il est vraiment : un gigolo qui l'a séduite pour son argent, qu'il utilise pour payer des prostituées. Il inflige affront sur affront à la comtesse. Le coeur brisé, elle va le dénoncer aux autorités autrichiennes. Le film se clôt abruptement sur l'exécution de Frantz.


C'est un beau film en costume, dont les scènes de romance entre Frantz et Livia sont parfois un peu longue.
La séquence d'ouverture dans l'opéra est magistrale, avec un premier plan-séquence à couper le souffle suivi d'un découpage digne d'Eisenstein. Dommage que le film s'essouffle un peu en route. Si les cadrages sont toujours parfaits, l'utilisation de la lumière a quelque chose d'un peu artificiel qui fait toc, et Senso fait partie de ces films dont Welles pourrait dire : "J'entends le clap". La reconstitution est poussée, avec toujours forces détails, mais il y a toujours un je-ne-sais-quoi d'un peu artificiel dans la direction des figurants. Le parallèle avec Autant en emporte le vent est flagrant. Passion destructrice d'une femme imprudente dans un contexte de guerre qui y apporte un élément de fatalité supplémentaire.


Disons que pour un grand maître comme Visconti, c'est un peu engoncé et lent. Il y a cependant d'indéniables charmes. J'ai beaucoup aimé une grande partie du passage dans le château d'Aldeno, où l'on retrouve le charme des Chroniques italiennes de Stendhal. Je n'aime pas trop les histoires sur une femme qui tombe amoureuse d'un salaud (genre Raphaël le débauché).


En dépit d'un final dramatique et vénéneux, Senso a un peu vieilli à cause de son rythme lent.

zardoz6704
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le 24 janv. 2016

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