Dans Hunger le personnage de Fassbender était cerné par une double prison : un lieu, sa cellule, et un corps. Corps devenant carapace corporelle que l'on cesse d'alimenter, qu'on laisse pourrir et dont la substance se répandait sur les murs. D'un point de vue spatial ou psychologique, en sortir, de l'un comme de l'autre, semblait impossible.
Dans Shame il est également question de double enfermement et d'isolement.
L'unité de lieu restreinte qu'était la cellule s'élargit ici à l'échelle d'une ville, New York. La prison de merde se mute en prison de verre et d'acier mais dans les deux cas le décor prédéfini évolue par l'action et l'appropriation de l'usager. S'il s'enfouissait sous sa propre merde dans Hunger, ici le personnage évolue dans des appartements, des bureaux et sous des tours de verre glacés. Il y a quelque chose de très Bret Easton Ellis dans la routine clinique et matérialiste de ce yuppie.
De la matière physique et odorante on passe à quelque chose de presque lisse, aseptisé, déshumanisé. Brandon, irlandais déraciné, s'isole physiquement au sein d'un monde et d'un système déconnecté, loin de chez lui et du réel, pris dans la boucle répétitive de son quotidien et de déplacements programmés. Cette longue échappée-travelling, en footing dans les rues de la ville n'est qu'un leurre, il en revient toujours au même point de départ.
Brandon s'isole également humainement et affectivement, épousant la froideur des espaces dans lequel il évolue et emprisonnant son corps et son esprit dans une addiction au sexe. Du sexe sans désir, sans chair, sans sentiment, sans odeur. Du sexe mécanique, machinal et expéditif, une branlette chez lui, une autre au bureau, un coït à la sortie d'une boite. Rien ne vit, rien n'existe.
Lorsque Sissy, sa sœur, débarque à l'improviste chez lui, c'est tout un système huilé qui s'écroule et se délite. Il perd ses repères, là encore spatiaux et affectifs, et une fenêtre semble s'entrouvrir dans les murs de sa prison. L'espoir de voir construire ou reconstruire quelque chose, mais qu'il refuse absolument dans un premier temps, consolidant sa barrière d'insensibilité et d'incommunicabilité.
Barrière qui va pourtant s'ébrécher, lorsque sa sœur, lors d'une magnifique séquence, entonne un New York, New York déchirant, et qui s'ouvrira vraiment à la fin du film pour déverser tout ce qui a été contenu jusqu'à alors.
Mais ce sont là des moments, des espoirs qui sont vite anéantis. Ca ne fonctionne pas.
De même lorsqu'une relation humaine et charnelle tente d'éclore, avec sa collègue de travail, c'est l'échec.
Il y a pourtant quelque chose de bouleversant à le voir essayer de bâtir quelque chose, de s'incarner, à l'image de la séquence du restaurant, plus belle scène du film, tout en hésitation, en retenue, en maladresse, mais dont la conclusion sur les toits de New York ne sera pas possible. Echec entrainant alors le personnage dans les abysses de sa maladie, une incursion dans un club gay glauque concluant cette descente aux enfers.
Steve McQueen a un réel talent pour filmer un corps, et pour filmer un univers cloisonné, mais il y a malgré tout dans ce film là beaucoup de maladresses, un aspect parfois trop formaliste gênant, je n'aime pas du tout l'introduction et la conclusion, ça croule sous la musique, sous l'esthétique, c'est kitch. Après, le sujet même du film puisant ses thématiques d'incommunicabilité, d'urbain, de solitude chez Antonioni ou autre, peine à vraiment décoller et ne propose pas grand-chose de nouveau. C'est un peu vain alors qu'Hunger possédait une vrai force et proposition de cinéma qui faisait exister le film longtemps après la projection.