The Shining... pas si brillant que ça...

Après m'être attiré des inimitiés ça et là avec "The Birds" d'Hitchcock, me voilà qui vais en remettre une couche avec "The Shining" de Kubrick… Je ne me voue pourtant pas à être le pourfendeur d'œuvres jugées cultes, tantôt qualifiées de "chef d'œuvre" par certains. Mais en amoureux sincère et passionné du Septième Art, je ne peux non-plus m'abaisser au snobisme consistant à porter aux nues, dans un vocable pompeux au possible, une œuvre pour le simple fait qu'elle est estampillée d'un nom que des cinéphiles, prétendument élitistes et savants d'une part et artistiquement embourgeoisés d'autre part, considèrent comme une fin en soit, intouchable et inattaquable… L'œuvre en question se doit d'être réussie pour gagner ses galons.


Ainsi, loin d'être réussi, "The Shining" ne correspond pas à la réputation qu'on lui fait depuis 30 ans. Faisant fi du bouquin de Stephen King, je ne traiterai que de l'objet cinématographique à proprement parler et, en filigrane, du scénario de Kubrick puisqu'il a fait l'adaptation du roman.


"The Shining" nous présente l'histoire d'un homme qui, accompagné de son fils et de son épouse, va devenir le gardien hivernal d'un immense hôtel saisonnier du Colorado, vidé de sa clientèle et de son personnel et coupé du monde durant cette période de l'année. L'homme, Jack Torrance (Jack Nicholson), qui se veut écrivain, souhaite profiter de cette occasion pour bénéficier de l'isolement dont il a besoin pour écrire. Rapidement, Kubrick nous sert sur un plateau l'ensemble des tenants et des aboutissants de l'intrigue, tant et si bien qu'au bout d'un quart d'heure, le spectateur n'aura plus la moindre surprise sur les péripéties à venir: d'une part, on nous informe que dix ans plus tôt, un précédant gardien hivernal, pris de folie liée à l'isolement et à la solitude, avait massacré sa famille avant de se donner lui-même la mort ; d'autre part, le surnaturel sera au rendez-vous, l'hôtel ayant été construit sur un ancien cimetière indien ; enfin, Danny (le fils de Jack) possède un pouvoir télépathique que le chef cuisinier de l'hôtel a également… Mieux, de manière peu subtile et peu mystérieuse, Kubrick nous pose, dès ce premier quart d'heure, la séquence finale du film, le labyrinthe dans les jardins de l'hôtel, pour laquelle on devine dès lors l'issue. À ce stade, le scénario s'annonce bien maigre et, hélas, le restera jusqu'au bout… La faute à cet aspect cousu de fil blanc sans que Kubrick ne laisse de surprises au spectateur, mais aussi, la faute à sa gestion du développement de l'histoire et des personnages, voulant beaucoup trop privilégier l'ambiance (et ce dernier point est une réelle volonté du réalisateur, belle erreur selon moi).


De fait, en voulant accorder une place si grande à une ambiance oppressante, presque de façon abstraite et/ou impressionniste, Kubrick délaisse toute progressivité de la narration et tout développement du background. Certains argueront du fait que le film laisse intellectuellement la porte ouverte aux propres réflexions de chaque spectateur et à leur imagination ; d'autres, comme moi, diront que, bien entendu sans mâcher tout le travail du spectateur, il eut été bienvenu que de donner plus d'éléments. Car du coup, bien des choses évoquées demeurent au stade de l'évocation sans que jamais l'histoire ne les développent ; comme abandonnés, ces éléments en deviennent inutiles, frustrants et accentuent cet effet de bâclé ou d'inachevé du film. Ainsi, pourquoi parler du cimetière indien si rien n'est expliqué ultérieurement ; s'il s'agissait de donner prétexte au surnaturel et autres "prétendus fantômes du passé de l'hôtel" (ceux-ci étant mal amenés et mal justifiés), il eut été encore plus simple de mettre le spectateur devant le fait accompli plutôt que de parler de ce cimetière de façon aussi anecdotique… Dans un autre genre, l'accent est rapidement mis sur l'interdiction de pénétrer la chambre 237: cette interdiction suppose que le mystère est grand autour de cette chambre, que quelque chose de grave s'y est produit et que quelque chose ayant de lourdes conséquences sur les protagonistes s'y produira si l'interdiction est enfreinte… In fine, que sait-on de ce qu'il s'y est passé? Rien! Si ce n'est à avoir une imagination débordante, mais le spectateur ne pourra faire que des spéculations infondées… Que s'y passe-t-il une fois l'interdiction bafouée? Pas grand-chose d'extraordinaire, du moins rien de ce que le mystère (qui tombe à plat totalement) et l'interdiction laissaient présager. Enfin, cerise sur le gâteau, ce qui donne le titre au film: The Shining. Ce pouvoir, en quelque sorte télépathique, propre à Danny et au cuisinier, n'est en rien exploité! Le gamin aurait tout à fait pu ne pas avoir ce pouvoir que cela n'aurait pas eu le moindre impact sur l'histoire… Un comble puisqu'encore une fois, c'est le titre du film! Enfin si, ce pouvoir permet à Danny de "communiquer" (si on peut dire…) avec le cuistot qui du coup prévient les autorités d'aller jeter un œil à l'hôtel (et qui n'interviennent pas) et qui revient de ses vacances forcées à l'hôtel, faisant des heures d'avion et de char des neiges pour se faire tuer (qui a dit comme un idiot?!) à peine arrivé, sans avoir aidé qui que ce soit… Foncièrement, entre le Shining et le cuistot, on est face à du pur remplissage, faussement intriguant et faussement palpitant, ayant des faux airs de gros foutage de gueule… Je passe aussi sur les jumelles fantômes qui font de la figuration ou l'autre particularité de Danny, à savoir une sorte de dédoublement de la personnalité (dont l'éventuel lien avec le Shining n'est en rien démontré), qui là encore ne sert, in fine, à rien du tout…


Côté personnages, là encore c'est le vide… Danny, on l'aura compris, manque d'intérêt et de profondeur, tout comme le cuisinier, même si le semblant de mystère de ces personnages était un bon point de départ. La mère, Wendy (Shelley Duvall), est une demeurée, soumise à son époux et accessoirement très laide. Parti pris de Kubrick se justifiant par le fait que seule une femme comme celle-ci pouvait vivre avec un homme comme Jack. Le souci est qu'elle est si gauche, si molle et si stupide qu'elle en devient purement insupportable, et ce sans compter la performance en elle-même de Duvall qui surjoue à mort la panique et l'effroi au point où le (mauvais) comique prend le pas sur le dramatique: on en est presque à désirer que Jack la tue… Venons-en donc au personnage principal, Jack. Hélas, moult défauts sont à relever, tant dans la direction artistique que dans l'écriture du personnage et sa narration. Dès l'entame du film, Jack apparaît comme louche ; si Nicholson a certes ce physique si naturellement psychopathe, on déplorera qu'on ne lui ait pas fait jouer de façon plus charmeuse les première scènes, de sorte à créer un décalage progressif par la suite. À ce propos, s'il semble déjà malsain dès les premières minutes, une progression lente dans la descente aux enfers psychologique du personnage aurait été intéressante pour plonger le spectateur dans un labyrinthe mental suffocant ; il n'en est rien, le basculement vers la folie se fait brutalement et tous les éléments (surnaturels ou pas) qui auraient pu nourrir cette narration de la folie sont soit absents, soit mal amenés (grossièrement et pas aux moments les plus opportuns). Le background du personnage, qui eut été fort intéressant pour poser un décor et une folie progressive se fait de façon saccadée et à des moments inappropriés ; ainsi, le moment où on devine l'alcoolisme (et les violences supposées) passé du personnage arrive trop tardivement dans le récit, renforçant cette impression qu'on passe trop vite, trop brutalement et trop maladroitement d'un mec simplement louche à un fou dangereux. À noter aussi que le personnage de Jack manque totalement d'intelligence: il est prévisible et donc peu inquiétant. Seule la performance visuelle de Nicholson parvient à donner une forme de terreur émanent du personnage. Pour conclure sur les personnages, on constatera qu'hormis Nicholson, les comédiens dans leur ensemble, premiers et seconds rôles, jouent assez mal, les dialogues sonnant, en VO bien sûr, assez faux…


Techniquement, rien de bien extraordinaire visuellement, la photographie étant dans l'ensemble propre même si certains plans, plus esthétiques, attirent l'œil ; dommage que Kubrick, en ex-photographe, privilégiait le format 1.33, un format qui fait considérablement perdre en beauté bien des plans et qui, surtout, fait perdre en intensité dramatique (le plan séquence introductif mériterait, à titre d'exemple, du 1.85 voire du 2.35)… L'éclairage, peu savoureux, trop souvent trop naturel dans l'intention, joue pour beaucoup dans la banalité des plans et le manque de mise en valeur des cadrages. On notera toutefois les bonnes idées, servant bien la narration pour le coup, des plans séquences à la steadycam du leitmotiv des "labyrinthes" (le vrai en extérieur, ainsi que les méandres intérieurs de l'hôtel où Danny se plait à faire du tricycle, sur des moquettes toutes aussi labyrinthiques). De même, certaines longueurs ça et là contribuent à la tension voulue.


La musique, conduite par Monsieur Karajan, adopte un parti pris rétrospectivement logique, à savoir des effets de cordes, de cuivres et de percussions grinçants, stridents et oppressants s'éternisant en longueur de sorte à compléter judicieusement une atmosphère se voulant angoissante, tendue et dérangeante où folie et violence psychologique se mêlent de façon pesante. Toutefois, la mise en œuvre de ce choix est un demi-échec: ces effets musicaux, quasi omniprésents, sont utilisés avec excès, ne laissant que rarement de répit aux tympans du spectateur qui sortent de la séance au bord du saignement. Si le fait de maintenir la pression sur le spectateur est une réussite dans l'intention, l'exécution, par ces excès d'agressions auditives, est ratée: on est tellement brutalisé et dérangé physiquement par ces sons qu'on finit par décrocher du propos.


Si "The Shining" est un film duquel on ressort très déçu à bien des égards, le paradoxe est qu'on ne s'ennuie pas. Pourtant, si dans l'absolu, laisser le spectateur se faire sa propre idée de certaines choses peut être intéressant, dans "The Shining", la narration mal maîtrisée, le vide et l'absence perpétuelle d'explications, d'indices de tous ordres, tuent la possibilité de laisser une partie des interrogations à l'imagination du spectateur et tuent le plaisir de l'expérience cinématographique…

Angelus
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le 24 févr. 2014

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