Plaisante destination que l'Overlook, ce palace hôtelier et son formidable cadre naturel des Rocheuses (Colorado) garantissant un séjour relaxant à l'écart de la civilisation ; un petit coin de paradis qui se mérite et dont l'hiver le rend d'autant plus difficile d'accès, cette période de morte saison la plus totale nécessitant d'ailleurs qu'une bonne âme daigne entretenir, seule, la bâtisse.


Quoi de mieux que ce poste de gardien solitaire pour écrire en paix ? Romancier en devenir, Jack Torrance n'aura pas hésité longtemps, quitte à traîner sa petite famille avec lui au passage, car comme on dit : plus on est de fous... et à ce propos justement, le fiston Danny a ramené son copain Tony, et les Grady préparaient déjà avec minutie une ribambelle de surprises allègres : qu'ils leurs tardaient d'accueillir les nouveaux occupants !


Ce lieu sinistrement idyllique et sa joyeuse troupe donne (The) Shining, l'une des plus célèbres œuvres littéraires du maître Stephen King, et dont l'adaptation cinématographique fut signée par le non moins fameux Stanley Kubrick ; cette transposition, opérant un traitement à bien des égards différent du bouquin original, suscita un curieux sentiment d'amour-haine chez l'auteur du Maine, mais je n'apprends rien à personne...


Pour en revenir au film lui-même, sa réputation n'est clairement pas usurpée : il s'agit là d'une démonstration technique proprement grisante, le père Kubrick offrant à l'Overlook une identité des plus tangibles au travers d'une vision formellement dantesque ; l'usage de la steadicam en est un excellent exemple, les déambulations cyclistes de Danny illustrant avec grand brio une immersion complète du spectateur au sein de ce labyrinthe de couloirs suffocant.


L'âme aux murmures lancinants de ce complexe maudit s'avère sans surprise porteuse d'une atmosphère hypnotique, où la place et l'importance de chaque décor, plan et autre séquence inquiétante témoignent d'une mise en scène proprement exceptionnelle ; l'empreinte visuelle de Shining est ainsi frappante, un constat tenant de l'évidence au regard de la créativité morbide découlant des fillettes Grady, ou plus globalement d'une palette de couleurs majoritairement sanguinolentes.


Et puis il y a bien entendu la composante musicale, fer de lance d'une bande son partie-prenante de la claque qu'est Shining : celle-ci rythme de bout en bout la déliquescence chronique de ce tableau glaçant, la variété de tons apportés par une équipe aux petits oignons (Carlos, Elkind ou encore Penderecki) épousant à la perfection les intentions millimétrées d'un Kubrick fort exigeant, de quoi exacerber à n'en plus finir la propension pétrifiante du long-métrage.


Voilà de quoi légitimer son étiquette d’épouvante-horreur, ses allures de récit ô combien surnaturel abondant en ce sens, mais quid de l’intrigue même ? A vrai dire, le fond s’avère bien moins intouchable que son superbe emballage, la faute à une gestion de la folie laissant en partie dubitatif : si l’on ne remettra pas en cause la présence de (logiques) ellipses temporelles, l’enlisement de Jack dans une spirale paranoïaque paraît trop abrupt, un constat attenant, paradoxalement, à l’interprétation de haute volée de Nicholson.


Dans un rôle taillé sur mesure pour ses rictus en tous genres, l’acteur donne vie à un homme au faciès dément, aussi l’on doute bien vite de sa santé mentale : outre des rebondissements en berne, Shining manque clairement de finesse en brossant un portrait brute de décoffrage et dont on ne devine que trop bien les actions dérangeantes à venir ; le point de divergence alcoolique entre le livre et son reflet filmique illustre ainsi des choix scénaristiques nullement anodins, celui-ci ayant entaché la profondeur d’un protagoniste essentiel à la bonne tenue des festivités.


Exception faite du devenir décevant de Dick Hollorann, d’autant que l’utilité du personnage relative au shining est bienvenue, les rares figures restantes rattrapent toutefois le coche au moyen d’interprétations mieux jaugées : en tête de file l’innocence bambine de Danny Lloyd, inconscient du caractère horrifiant du tournage (brillante manœuvre de Kubrick), fait diablement mouche avec le « Doc », tandis que dans un tout autre registre l’éberluée Shelley Duvall apporte une originalité déconcertante à l’excentrique Wendy.


Malgré de flagrants accrocs, la qualité intrinsèque du tout s’accompagne d’un rythme très efficace (les presque 2h30 de la version US passent rapidement) à même de contrebalancer les quelques points d’ombre sus-cités : bien au contraire, le crescendo final s’avère hautement savoureux à l’image d’un dénouement labyrinthique captivant, un élément d’intrigue que je juge d’ailleurs plus propice que la chaudière littéraire.


Certes imparfait mais unique en son genre, Shining constitue donc une expérience sacrément marquante comme brillante, énième (ou tout du moins, pour le profane que je suis, la seconde) preuve tangible de la valeur incontestable du cinéma de Kubrick.

NiERONiMO
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le 5 juin 2016

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