Revoir Shutter Island est, au vu des révélations vers lesquelles il tend, un jeu plaisant, comme ce fut le cas à sa découverte, puisque son visionnage avait été précédé de la lecture du roman de Lehane, d’ailleurs nettement supérieur.


Film de commande, qui ressemble un peu en cela au projet des Nerfs à Vif (et qui, au même titre, sera un des très grands succès de Scorsese), Shutter Island joue avec les codes du genre dans lequel le réalisateur semble prendre un véritable plaisir. Policier retors, le récit ne s’embarrasse pas de subtilité, et peut a priori se le permettre puisqu’il épouse les contours extrême d’une psyché malade : de ce fait, on pourra plonger sans modération dans les effets les plus insistants pour accentuer l’angoisse de cette île / hôpital psychiatrique sur laquelle règne une ambiance paranoïde en perpétuelle ébullition.


Les personnages et les situations s’engoncent un peu dans les clichés, et l’esthétique n’est pas toujours du meilleur goût, surtout dans les séquences de rêves, à grand coup de couleurs saturées et de distorsion. Le jeu entre réalité et fiction, la théorie du complot et ses limites sont tellement conditionnées par le twist final qu’on a le sentiment de perdre une bonne partie du film rivés à un point de vue, servi par une esthétique et une subjectivité un peu putassières.


Scorsese, s’il semble moins à l’aise qu’à son habitude, quelque peu dépassé par tout ce qu’il est techniquement et visuellement possible de faire (comme l’étaient les expérimentations assez douteuses sur la couleur dans Aviator), reprend la main dans quelques séquences, et notamment dans son exploitation de l’architecture. Cette incursion dans les corridors, les escaliers en colimaçon (assez proche de Vertigo) et les bâtisses en pleine tempête conduit à une atmosphère presque expressionniste qui peut fonctionner de temps à autre.


A ce stade de sa filmographie, entre un biopic prévu pour un autre (Aviator, pour Mann), un remake d’un polar de Hong-Kong et une adaptation d’un roman à sensation, on peut craindre de voir Scorsese perdre sa personnalité et ce qui fit la sève de son œuvre. Le retour à un projet très personnel et intime (Hugo Cabret et son hommage au 7ème art) puis de sa fougue virulente (Le loup de Wall Street) dissipent pourtant les craintes et permettent d’attendre la suite de son travail.


(6.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Martin_Scorsese/1467032

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

33
4

D'autres avis sur Shutter Island

Shutter Island
nm-reader
10

L'empathie du psychiatre, selon Scorsese

"Shutter island", est au départ un roman de Dennis Lehane, spécialiste des scénarios complexes, parfaitement taillés pour être adaptés au cinéma. En témoignent les "Mystic river" et "Gone baby gone",...

le 22 déc. 2013

170 j'aime

27

Shutter Island
Torpenn
2

Lourd dingue

Il n'y a rien de pire à supporter qu'un film qui veut créer une ambiance par tous les moyens et qui n'arrive qu'à vous faire bâiller d'ennui ou frémir d'horreur devant tant de bêtise et de...

le 4 janv. 2011

133 j'aime

276

Shutter Island
real_folk_blues
3

Va phare enculo

Moyennement convaincu mais néanmoins plutôt séduit par l’aspect esthétique lors d’un premier visionnage, c’est avec un sentiment mêlé d’agacement et de consternation que je réceptionne pour la...

le 4 févr. 2013

72 j'aime

24

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53