Bien qu’il n’arrive qu’aujourd’hui sur nos écrans le projet Solo est un des plus anciens du revival Star Wars, Lawrence Kasdan légendaire scénariste de l’Empire Contre-attaque – sans doute la personne en dehors de George Lucas qui a le plus façonné Star Wars – avait accepté de rejoindre Lucasfilm pour le concrétiser. Pour mettre en scène son script co-écrit avec son fils Jonathan Kasdan, Kathleen Kennedy avait choisi le duo Phil Lord et Christopher Miller courtisé par les plus grands studios après le succès de La Grande aventure Lego et 21 Jump Street. On le sait l’histoire se compliqua en coulisses les méthodes du duo, basée sur la multiplication des prises et d’improvisation provoqua des tensions avec l’équipe technique et surtout avec Kasdan, ce dernier estimant que Lord et Miller dénaturaient le ton du film. A deux semaines de la fin des prises de vue Kathleen Kennedy se séparait du tandem, le vétéran Ron Howard étant appelé à la rescousse. Le réalisateur d’Apollo 13, familier de George Lucas pour qui il joua dans American Graffiti et réalisa Willow finira par retourner 70% du film pour être finalement crédité comme réalisateur unique, Lord et Miller se contentant du titre de producteurs exécutifs. La crainte était grande de se retrouver avec un de ces films malades et de voir la première grande sortie de route de la franchise pourtant, à nos yeux, si Solo est imparfait, c’est très loin d’être une catastrophe malgré les handicaps qu’il a dû surmonter. Si Solo est la deuxième film de la collection A Star Wars Story –ayant pour vocation de raconter des histoires situées dans l’univers Star Wars mais indépendantes de la saga de la lignée Skywalker-, il apparaît être de fait le premier véritable film à en suivre le concept, tant Rogue One pouvait prétendre à être considéré comme un épisode 3.5 de la saga par la gravité et l’importance de ses enjeux et sa finalité. Si la situation était connue, l’utilisation de protagonistes entièrement nouveaux offrait une liberté que n’a pas Solo qui se doit de développer une aventure inédite pour des personnages iconiques dont on connait déjà le destin et les péripéties les plus importantes de l’existence.


Solo chronique donc « les aventures du jeune Han Solo » -pour rester dans la typologie Lucasfilm- jeune délinquant des rues de la planète Corellia, une « planète chantier naval » où sont construits les bâtiments de la flotte impériale, et qui tente avec sa petite amie Qi’ra (joué par Emilia Clarke) d’échapper à la coupe du patron de crime local Lady Proxima (qui a la voix de Linda Hunt vue dans Dune) et de quitter la planète. Han et Qi’ra sont séparés dans leurs fuites et on retrouve Han quelques années plus tard enrôlé dans les troupes impériales tentant de la retrouver. En chemin, il va donc rencontrer Chewbacca (incarné depuis les épisodes VII et VIII par Joonas Suotamo), rejoindre une bande de criminels mené par Tobias Beckett (Woody Harrelson) et croiser la route de Lando Calrissian interprété par Donald Glover. Nous savons depuis quelque temps que Lucasfilm souhaite rattacher chacun de ses spin-off à un genre différent, le modèle adopté ici est celui du film de casse comme le film de guerre et de « Men on a mission » fut celui de Rogue One. On retrouve donc ici une version « Star Wars » d’une attaque de train postal, des poursuites en voiture et d’un casse impossible avec aussi les trahisons et les retournements habituels du genre. A cela s’ajoute un soupçon de western dans le final et des clins d’œil au Salaire de la Peur. Loin des conflits avec l’Empire et de la rébellion (quoique) Solo peut ainsi développer une des facettes de l’univers celui du crime organisé dont l’organisation Crimson Dawn et un de ses pontes qui sert d’antagoniste principal Dryden Vos (joué avec une joie mauvaise par Paul Bettany un familier d’Howard depuis Da Vinci Code qui remplace Michael K. Williams). Le premier acte du film peine à trouver son rythme, les séquences sur Corellia semblent inspirées du Star Trek de J.J Abrams (qui lui même recyclait des éléments narratifs du film de Lucas, la boucle est bouclée) mais le film fini par trouver sa vitesse de croisière avec des péripéties familières mais engageantes. Parce qu’il emploie plus de personnages connus Solo tombe plus que Rogue One dans les travers habituels des préquelles : donner une explication ou une origine à des éléments des films originaux qui n’en avaient pas forcément besoin quitte à leur retirer une part de mystère. Mais la force de l’attachement que nous ressentons pour ses personnages est telle et la manière dont les Kasdan père et fils les amènent (la rencontre avec Chewie, des variations sur des dialogues classiques) font qu’on ne peut s’empêcher de sourire. Quand pour la première fois Han et Chewie sont côte à côte aux commandes du Millenium Falcon et que le thème de John Williams retentit impossible pour un fan de ne pas ressentir des frissons.


La difficulté de succéder (ou précéder) à des stars dans leurs rôles iconiques est immense et le jeune Alden Ehrenreich, parfois mal à l’aise, si il ne se montre pas aussi éblouissant qu’un Chris Pine a pu l’être dans la même situation dans Star Trek, a le mérite d’être dans l’évocation plutôt que dans l’imitation. Si sa tâche est rendue plus difficile car le personnage se retrouve ici dans la position du jeune naïf et plus du contrebandier flamboyant, le scénario des Kasdan montrant que la personnalité de Han Solo est une façade qu’il se construit, le spectateur fini par s’habituer à mesure que l’interprète et le personnage semblent prendre de l’assurance. Donald Glover est plus à l’aise en Lando Calrissian mais c’est aussi parce que le personnage est utilisé avec parcimonie. Les nouveaux protagonistes sont assez réussis. Woody Harrelson se repose certes sur son jeu habituel pour incarner le mentor de Solo , vieil outlaw blasé mais le fait bien. Nous étions appréhensifs du jeu d’Emilia Clarke mais l’avons trouvé tout à fait à l’aise dans le rôle du premier amour de notre héros. Elle incarne une héroïne assez complexe et son entente avec Ehrenreich fonctionne. Comme dans Rogue One, un des personnage le plus marquants est un droïde incarné en motion-capture par la britannique Phoebe Waller-Bridge) partenaire de Lando. L3-37 est une militante du droit des robots sorte de Social Justice Warrior de l’espace qui au-delà de sa fonction de ressort comique à un arc assez poignant. Nous avons aussi beaucoup aimé le personnage de Rio (avec la voix de Jon Favreau) pilote quadrumane qui a toute sa place dans le panthéon des créatures marquantes de la saga.


Solo est de très loin le film de la saga le plus « tactile » depuis la trilogie originale même si les films d’Abrams et Johnson amorçaient cette tendance, la part des effets physiques, de maquillages, des animatroniques, des décors « en dur » et des accessoires est prépondérante, lui conférant un aspect « old-school ». D’aucun diront que Solo ressemble à une série B mais nous avons trouvé ce côté rafraîchissant, tel un fil qui le relie directement aux film originaux de Lucas mais aussi à ses inspirations serialesques. Certes la mise en scène de Ron Howard apparaîtra trop classique voire académique à certains mais son expérience dans les blockbusters des années 80 lui permet d’être parfaitement à l’aise avec les techniques employées ici et contribue au charme un peu suranné du film. La photo nébuleuse de Bradford Young (A Most Violent Year, Premier Contact) lui ajoute une patine atmosphérique qui le distingue stylistiquement des autres films de la série. Exemple de cet apport : des scènes de guerre dans les tranchées et la boue qui évoquent la Première Guerre mondiale, là où la saga se dupliquait plus volontiers dans les batailles de la Seconde. Howard et Young orchestrent des scènes mémorables comme l’attaque du train ou le morceau de bravoure central avec le Millenium Falcon parfaitement rythmées par le montage de Pietro Scalia (JFK, Gladiator). Le final est plus modeste et sans doute pas assez puissant malgré un bel hommage au western spaghetti. John Powell (Dragons 1 & 2) signe un score puissant et épique (John Williams signant le thème du personnage principal) qui réutilise les motifs musicaux de la saga tout en ajoutant des thèmes parfois ethniques très réussis. Les Kasdan ont clairement conçu le film pour être le premier d’une série autour des aventures du contrebandier mais l’apparition surprise d’un personnage (peut-être imposé par le studio) nous a semblé un peu forcée. Le film offre malgré tout des pistes solides pour des intrigues pouvant se développer dans d’autres volets.
En conclusion, Solo est un film d’aventures spatial léger et ludique parfois maladroit mais sans autre prétention que de distraire et dont le charme de série B old-school le relie directement à l’esprit des films originaux.

PatriceSteibel
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le 22 mai 2018

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