De l'importance de dès que nul n'avait jamais remarqués

Une petite salle de quartier; installation modeste pour budget minime dans un cadre sympathique. Neuf personnes vont voir le film le lendemain de sa sortie, insolite communauté de l'anneau. Les lumières s'éteignent, l'écran s'anime. Débute un film mort-né, qui fit polémique du moment de son annonce jusqu'après sa sortie.


S'attaquant au Han Solo de Ford pour le remplacer par un acteur mineur, le film a su faire un bon choix de casting : Alden Ehrenreich brille par le charisme dont il fait preuve durant les scènes d'action, donnant vie à la version rajeunie d'un personnage culte, et qui devrait revenir pour au moins deux films de plus. Il manquera cependant de présence durant les dialogues, pour lesquels il se contente d'un sourire en coin sans prendre en compte toutes les nuances du jeu de son prédécesseur.


Le tableau du personnage est donc bien dépeint, et les reprises de ses célèbres mimiques continuent de faire basculer l'opinion globale de sa prestation vers une note positive. Le voir avancer les mains sur la boucle de sa ceinture, en observant chaque personnage présent autour d'une table de Sabbac, profondément badass et très western, aura son petit effet sur le spectateur qui voulait revoir le Solo d'Un Nouvel Espoir.


Bien aidé par un casting aux petits oignons (charmante Emilia Clarke, imposants Woody Harrelson et Paul Bettany) Ehrenreich tire son épingle du jeu en réussissant largement mieux l'appropriation de son personnage qu'un Donald Glover certes classieux, mais finalement en demi-teinte dans son interprétation d'un jeune Lando Calrissian. Il lui manque l’ambiguïté de Billy Dee Williams, acteur à la présence difficilement reproductible.


A côté de cela, le film évolue dans un univers western-steampunk réussit au point d'en faire oublier ses nombreux problèmes de production (dont le départ de ses précédents réalisateurs pour différents artistiques avec Disney); jeunesse et genèse des héros présents dans la trilogie originale y sont contées de très bonne manière, et l'introduction des personnages dans l'intrigue n'est jamais forcée (l'arrivée de Chewbacca demeure une réussite totale).


Bien qu'un poil prévisible lors de son climax, Solo : A Star Wars Story possède une écriture qui parvient à surprendre le spectateur au bon moment, effaçant la déception de quelques longueurs malvenues ou de passages aisément prédictibles. On lui reprochera cependant quelques incohérences et changement de caps abruptes (le retournement de situation concernant le contrebandier pourchassant Solo et sa clique est une affreuse déception conduisant à la pire des baisses de régime).


Et même s'il peut manquer de finesse (particulièrement dans sa construction visant à privilégier le spectaculaire au détriment de la psychologie de ses personnalités), Solo y remédie par l'intelligence de ses références et l'originalité de son univers en tant que spin-off Star Wars. On regrettera cependant sa fin qui n'en est pas une et conduira plus à des questions sur l'intrigue, sur ce qui se passera une fois le film terminé, qu'aux réponses qu'on était en droit d'attendre; sans réel climax autre que l'annonce du retour d'un personnage et de la mort de quelques autres (dans un affrontement final sans grande ampleur), l'on pourra quelque peu rester sur notre faim en pensant à la suite qu'ils produiront sûrement d'ici quelques années.


Petit bémol, Solo semble n'avoir pas de réel bad guy; le principal se désamorce petit à petit, tandis que le secondaire semble n'être qu'un pantin, et manque trop de développement pour qu'on retienne ne serait-ce que son nom; lisse et sans grand intérêt, le personnage de Bettany est heureusement sauvé de l'inintérêt par sa gueule et son jeu d'acteur, qui font largement ce qu'on leur demande.


Au final, Solo est un film à voir comme un divertissement classique qui développe seulement la psychologie de son personnage principal sans vraiment tenir compte des protagonistes alentours. Il fait bien son travail de blockbuster d'été en nous proposant nombre de morceaux de bravoure et de passages explosifs, humour balourd oblige (encore que la parodie des féministes extrémistes est cocasse). C'est classique, convenu mais suffisamment bien foutu pour faire passer un bon moment devant le renouveau d'un personnage mort depuis trente ans. On reste cependant loin de la qualité d'un Rogue One.


Edit 06/01/2020 : Un nouveau regard aura permis de tempérer mon avis sur le film, et de confirmer l'impression générale laissée par ma précédente critique : Solo : A Star Wars Story n'apporte rien de spécial à l'univers si ce n'est quelques planètes au design à peu près neuf, un bestiaire de créatures toujours autant étoffé et des références historiques aux figures iconiques de la saga, qu'il ne sait jamais trop comment inclure dans son récit.


Alors qu'il ne semble exister qu'en temps que divertissement primaire et banal, le deuxième spin-off de l'univers créé par Lucas justifie le simplisme de son intrigue et le vide de ses personnages par leur impact indirect sur les films à venir, comme s'il légitimait son manque d'imagination et de réflexion en caressant le fan dans le sens du poil : entre une Qi'ra détruisant totalement le côté loubard et solitaire du personnage, résumant son égoïsme à une peine de coeur clichée, et le ridicule d'un Lando Calrissian transformé en caricature simplette du protagoniste de L'Empire contre-attaque, le développement de ses personnalités traduit une incompréhension grave de l'oeuvre originelle, que les Kasdan ont participé à écrire mais ne semblent plus maîtriser, ni même comprendre.


Ils réduisent ainsi les désirs du spectateur de suivre une épopée spatiale dépaysante à un enchaînement d'effets spéciaux qu'il sera finalement incapable de juger, la photographie décidant de placer toute la mise en scène dans une brume constante et tantôt sombre tantôt gris fade. Le manque de lisibilité de l'ensemble, à défaut de créer une réelle atmosphère, semble servir de cache-misère au profit d'une réalisation peu inventive se reposant sur des plans d'ensemble tenant plus de l'art-work grandiose que de l'authentique travail de cinéaste.


Sans personnalité ni envergure, le travail de Ron Howard fait écho aux oeuvres de Yes Man de l'autre grande franchise Disney, Marvel, trouvant sa place entre Captain Marvel et Avengers : Endgame. Si l'on est loin de la personnalité colorée et joyeuse des précédents Star Wars, Solo épouse le teint sombre du très bon Rogue One sans le talent ni l'audace de Gareth Edwards, livrant une intrigue légère qui jure particulièrement avec le ton sérieux et grave de ses visuels.


S'il reste un bon divertissement, ce cahier des charges sans aucune originalité développe un certain intérêt si l'on veut y trouver du fan-service, des explications à la pelle (jusqu'aux dés de Solo, ou aux dégâts du toit du Faucon) et ne pas réfléchir devant une ribambelle d'effets spéciaux évidemment réussis. Les autres auront bien du mal à finir une oeuvre qui n'apporte rien, ni émotion ni inventivité, à un univers pourtant propice en histoires merveilleuses, en décors splendides et en personnages fascinants.


Trop concentré sur son nombril, Solo tombe dans le piège des Star Wars post-Lucas : ils n'existent plus comme films individuels, mais s'inscrivent dans une refonte de ce qui a fonctionné auparavant, l'imagination et la fraîcheur s'étant déjà faits la malle depuis longtemps. Calqués sur la trilogie originale en tentant d'abandonner ce qui a déçu avec la seconde, ils ne font que reproduire une recette juteuse sans comprendre ce qui fait la sève de Star Wars : la sincérité du propos couplée à une imagination affranchie de toute limite.

Créée

le 31 mai 2018

Critique lue 275 fois

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FloBerne

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