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Incroyables yeux de chatte étirés vers les tempes, chatoiement d’un iris piqueté d’or : magie du regard de celle qui deviendra La Loren, fantasme de toute une époque des années 50 et 60 .


« Elle est belle, et plus que belle; elle est surprenante : Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l'éclair : c'est une explosion dans les ténèbres. »


Oui, elle est belle, Sophia, d’une beauté atypique, excessive et hors normes , mais quelle présence, quelle vie dans ses courbes fastueuses, ces hanches pleines «balayant l’air de sa jupe large» et ce buste opulent qu’elle exhibe à l’envi, ondulant sur une taille faite au tour qui appelle l’étreinte !


Comment imaginer dès lors, que la petite Sophia Scicolone née en 1934 dans les faubourgs de Naples, d’une « ragazza madre » sans mari, fillette cruellement moquée par les enfants de l’école pour son statut de bâtarde, ait pu aussi, brindille adolescente, se faire traiter de «cure-dents» : éclatante revanche, quelques années plus tard, d’une femme fleur aux formes épanouies et splendides auxquelles nul ne résistera.


Une carrière d’actrice que ne souhaitait pas vraiment la belle plante poussée trop vite, mais que sa mère Romilda, jolie blonde aux faux airs de Garbo, appelait de tous ses vœux, afin de pouvoir vivre par procuration son rêve brisé.


Sophia c’est la prunelle de ses yeux , le trésor sur lequel elle veille jalousement, consciente que l’adolescente de 15 ans, encore un peu gauche, est une vraie nature, dotée, qui plus est, d’une formidable aura sensuelle.


Et c’est la course au succès , concours de beauté , première robe taillée dans les rideaux de la salle à manger, et déjà une semi-reconnaissance, la jeune fille gagne un billet pour Rome, sa mère jubile : « ce sera Cinecitta ou rien ! »


Un premier essai où Sophia n’est pas retenue mais, à défaut, se lance dans des romans- photos qui font fureur et qu’elle enchaîne à une cadence effrénée, devenant ainsi une spécialiste des « fumetti », mimant avec un acharnement passionné, joie , amour, colère ou déception, pour le plus grand plaisir de cette classe populaire qui se délecte des sourires énamourés, des poses lascives ou du désespoir de son héroïne.


Le travail paye, permettant à la jeune fille de nourrir la famille : Romilda et Maria, les deux êtres qu'elle chérit le plus au monde.
Plus encore que la chasse à la gloire, Sophia est mue par un sens profond des responsabilités envers une mère qu’elle vénère et une jeune soeur qu’elle protège: elle se sent désormais « l’homme de la famille » et même, comme elle le dira plus tard : « J’étais devenue la mère de ma mère et celle de ma sœur ».


1950 : le destin entre en jeu sous les traits d’un producteur qui a pour nom Carlo Ponti , déjà célèbre et marié ; il a 38 ans, elle en a 16 mais le professionnel a repéré le potentiel et l’extraordinaire présence de la jeune femme : il va prendre en main sa carrière, lui faisant perdre son accent et adopter une garde-robe plus en accord avec cette silhouette sculpturale qui attire déjà tous les regards.


Ce sera la rencontre de sa vie, contre toute attente la jeune femme tombe amoureuse de son pygmalion ; à 18 ans elle tourne ses premiers rôles sous le nom de Sophia Loren : l’actrice est née, le couple, ne se quittera plus, malgré l’annulation par le Vatican de leur premier mariage et l’attente d’une légitimité qu’ils ne connaîtront qu’en 1966, après huit ans de bataille.


-Avez-vous eu de la chance ? Lui demande François Chalais lors d’une interview
-Non, pas vraiment, j’ai toujours beaucoup travaillé et surtout je n’ai jamais eu le sentiment d’être arrivée.


C’est sans doute son professionnalisme, cette ardeur à la tâche, qui explique aussi l’extraordinaire ascension que Sophia Loren a connue, la menant des rues miséreuses de Naples au fameux tapis rouge tant convoité et ses célèbres récompenses.
Son mentor, Carlo Ponti, en lui ouvrant les portes du cinéma, lui aura permis ces formidables rencontres comme autant de jalons de ses succès.


Vittorio De Sica, le premier, père de substitution, napolitain comme elle, va révéler l’étendue de son talent, cette capacité à être et incarner LA FEMME dans toutes ses métamorphoses, lui donnant quelques uns de ses plus beaux rôles et lui faisant gagner ses titres de gloire.


La Ciociara, bien sûr, en 1960, cette mère courage bouleversante, mais comment oublier, quelques années plus tôt, la truculente Sofia de Pain , amour, ainsi soit-il, divinement moulée dans une robe rouge et se déhanchant sur l’air de Mambo italiano comme si le monde lui appartenait ?!


On ne peut évoquer l’actrice sans lui associer évidemment son partenaire de prédilection , Marcello Mastroianni : duo explosif, drôle et glamour dans Mariage à l’italienne où le couple est à son apogée, mais aussi Hier, aujourd’hui et demain où avec une grâce souveraine, Sophia, guêpière et porte-jarretelles noir, se dénude dans un strip-tease qui a marqué les mémoires.


Impossible également de passer sous silence l'une des plus belles histoires d'amour du cinéma, des plus improbables aussi, où les deux partenaires, totalement à contre emploi : il est homosexuel, c'est une mère au foyer banale sous l'ère fasciste, se trouvent réunis dans le chef-d'oeuvre d'Ettore Scola, Une journée particulière.


L’élégant « gentleman d’Hollywood », le classieux Cary Grant en personne, qui lui donne la réplique sur le tournage d’Orgueil et passion, ne résistera pas longtemps à
cette tornade érotique : dans un flamenco de feu qui laisse l’homme médusé, l’actrice et la femme se confondent en une même image, et bientôt le séduisant cinquantenaire n’aura d’yeux que pour la « gamine de Pozzuoli », lui proposant même de l’épouser.


Au fil d’archives, Julia Blacher déroule le parcours de Sophia Loren, devenue actrice, pourrait-on dire, par amour pour cette mère omniprésente et adorée qui, juste avant de mourir en 1991 déclarait : « J’ai été récompensée de toute la peine que j’ai prise : je suis Sophia. »


Portrait captivant et bien documenté d’une icône du cinéma qui a mis le monde à ses pieds, une comédienne et tragédienne hors pair, ni femme objet, ni femme fatale, qui a illustré tour à tour la maman et la putain avec un naturel qui force l’admiration.

Aurea

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