Qu'est-ce qu'on obtient, à fonder toute une société sur des codes rigides qui étouffent les aspirations intimes des gens, hein ? Eh bien, des envies de meurtre, bien entendu. Ou la terreur d'être tué, quand on a conscience du mal qu'une telle restriction de liberté peut entrainer. C'est une analyse personnelle, bien entendu, mais une plongée dans les films américains ou anglais des années 40 et 50 renseigne assez bien sur la probabilité qu'elle soit ne serait-ce qu'un peu valide. Soupçons arrive assez tôt dans la carrière du réalisateur anglais mais contient déjà les ingrédients qui feront son succès lors des décennies suivantes. Et les astuces visuelles qui deviendront sa marque de fabrique. Ici, notamment, un verre de lait luminescent dans une montée d'escaliers, qui cristallise toute l'attention d'un spectateur déjà bien chauffé à blanc. Pourtant, ça commence plutôt niaisement. On sent le 2nd degré dans le traitement que Hitchock réserve à l'histoire d'amour naissante entre les deux protagonistes, comme s'il s'acquittait avec ironie d'un préambule incontournable. Son détachement frôle parfois la moquerie, et ses comédiens ne semblent pas forcément à l'aise. Plus tard, lorsque le piège se sera refermé sur l'oie blanche, ce sentiment d'étrangeté disparaîtra au profit de cette appréhension diffuse qu'il savait si bien susciter. Au final, l'expérience n'était pas si désagréable et laisse du grain à moudre pour l'après-générique. Quel rôle jouaient donc ces lunettes si récurrentes et finalement passées à la trappe ? La fin est-elle bien ce qu'elle semble être ? Pourquoi un revirement psychologique si rapide et inexpliqué dans le dernier plan ? Autant dire que le Maître ne nous laisse pas nous en tirer à si bon compte...